Nous

George invite machinalement le vieillard à entrer, et c’est précisément au moment où il referme la porte derrière lui qu’il remarque qu’aucune trace de pas n’imprime la neige.

George alla donc préparer un café pour lui et son invité inattendu. En sortant de sa cuisine George remarqua que le vieillard avait pris ses aises. Il avait retiré ses chaussures et s’était confortablement installé sur sa chaise.

Il y eu un long silence, puis George décida de lancer la conversation :

  • « Alors…monsieur…je ne sais toujours pas qui vous êtes… »
  • « Tsss…tu es bien sot mon garçon. »

George pris alors le temps de réfléchir pour voir s’il n’avait pas déjà croisé cet homme quelque part. Non. Il ne l’avait jamais vu. Du moins il n’en avait pas le souvenir.

Alors il reprit :

  • « Monsieur, je suis vraiment désolé, mais je ne me souviens pas vous avoir déjà vu. »
  • « Bon, dans ce cas je vais devoir te raconter mon histoire…peut être qu’elle t’ouvrira les yeux. »

George n’avait pas envie d’entendre un vieillard parler pendant des heures, il avait, en plus de cela, du travail à faire.

  • « Ce n’est pas pour paraitre impoli mais veuillez m’excuser, vous devez partir, j’ai beaucoup de travail, je dois…

Le vieillard lui coupa la parole.

  • « Oui je sais, tu dois finir ton livre, mais écoute plutôt ce que j’ai à te raconter. Ça pourrait changer ta vie. Et je parle sérieusement. »

Le vieillard avait pris un ton plus ferme, alors George décida de l’écouter.
Il avait peur de cet homme. Non pas à cause de son changement de ton, mais parce qu’il savait qu’il devait terminer son livre, et peu de gens dans l’entourage de George le savaient.

L’inconnu au cheveux gras et à l’air repoussant se racla la gorge et commença son récit :

  • « Tout d’abord il faut que tu saches que je suis moi-même un écrivain… du moins je l’étais. Tout a changé un beau matin d’hiver lorsque j’avais environ trente ans. Je devais terminer mon histoire rapidement et la rendre à mon patron, le seul problème était que j’avais la tête vide. Aucune idée !Rien ! J’ai donc passé quatre jours consécutifs dans mon bureau à la recherche d’un peu d’inspiration. Mais toujours rien. Je décidai donc d’aller me changer les idées au cinéma. Je m’étais dit qu’un film pourrait enclencher une soudaine inspiration dans mon esprit. Mais là-aussi, en vain. Je fis alors la rencontre d’un scientifique qui m’exposa son projet : il voulait trouver une personne assez forte mentalement pour prouver au monde qu’un être humain était capable d’avoir des pouvoirs grâce à la science . Bien que les sciences ne soient pas ma tasse de thé, j’aimais bien discuter avec cet homme. Au début je n’y croyais pas trop, mais au fur et à mesure qu’il ajoutait des arguments, mon subconscient commençait à se dire que cela pourrait marcher. Alors il me posa la question qui changea ma vie à tout jamais en me demandant si je voulais être son sujet d’expérience. Bien évidemment je refusai. Ne se débinant pas il me laissa son numéro argumentant que cette aventure pourrait m’inspirer pour mon livre. Après plusieurs jours à ruminer devant ma page blanche, je décidais alors de recontacter ce scientifique et d’essayer de conclure un accord. »

Le vieillard marqua une pose pour laisser à George le temps d’accumuler les informations. Celui-ci répliqua alors :

  • « Attendez…je ne comprends pas. Pourquoi me racontez-vous cela ? Cette histoire ne me dit rien du tout. Et puis vous êtes complètement fou. Pourquoi accepter d’être le cobaye d’un scientifique que vous n’avez vu qu’une fois ?! »

Le vieil homme répondit à George d’une manière qui le dérouta totalement.

  • « Tu es toujours aussi impatient à ce que je vois ? Tu l’as toujours été d’ailleurs. Laisse-moi terminer et tu comprendras. »

Comment pouvait-il prétendre aussi bien le connaitre ? George était sous le choc, mais laissa le vieillard terminer son histoire :

  • « Je disais donc, comme j’étais en situation de détresse et que je n’avais rien à perdre, pourquoi ne pas tenter l’expérience ? Trois jours plus tard je me retrouvais dans une robe d’hôpital, entouré de scientifiques qui me dévisageaient tous plus les uns que les autres. J’ai alors pris conscience de l’énorme erreur que j’avais faite. J’avais accepté, comme tu le dis, d’être le jouet de ces fichus savants. Je subissais jour après jour des tests et l’on m’injectait des substances étranges qui étaient censées me donner des « super pouvoirs ». Je pensais que j’allais mourir dans ce satané laboratoire ! Au bout de six mois rien n’avait changé. Les expériences continuaient et continuaient encore. Pourtant au bout d’un an j’ai réalisé que j’avais développé certaines capacités. Je pouvais être sur mon lit d’hôpital, cligner des yeux, et me retrouver dans le réfectoire. Mais cela allait encore plus loin je pouvais passer et repasser indéfiniment devant des infirmiers en créant une boucle temporelle. L’expérience avait fonctionné. »

George coupa la parole au vieillard et dit :

  • « Attendez. Vous êtes vraiment en train de me dire que vous avez des super pouvoirs ?!Vous ?! Mais ce n’est pas possible. Je suis bien placé pour le savoir, les super pouvoirs ont été inventé par des personnes comme moi, des personnes qui écrivent des histoires pour satisfaire l’imagination du public. On n’a jamais vraiment vu une personne avec des « pouvoirs magiques ». Monsieur, je ne sais pas qui vous êtes et je pense que vous êtes en train de me faire une énorme blague. Alors s’il vous plait veuillez sortir de chez moi maintenant. »

Le vieillard paraissait amusé, ce qui surprit George.

  • « Alors comme ça tu ne me crois pas ? Voyons mon petit George veux-tu que je t’en donne la preuve ? »

George , il l’avait appelé par son prénom alors qu’il ne le lui avait jamais révélé. Cet inconnu qui se trouvait, ici dans sa cuisine, semblait savoir beaucoup sur lui. Cela l’effrayait encore plus. Il n’eut pas le temps de répondre que l’étrange vieil homme disparut. Il s’était volatilisé pour réapparaitre derrière lui. Comme si il s’était…téléporté !!! George se retourna brusquement et cria :

  • « Qu’est-ce que- ?! V-Vous venez de vous téléporter ?! C’est bien ça ?! Ou est-ce-que je deviens fou ?? »

L’homme se téléporta de nouveau et atterrit devant le poste de télévision.

  • « Tu n’as pas la berlue mon garçon. Rassures toi tu ne deviens pas fou. Je vais t’épargner toute l’explication scientifique de ce phénomène mais je suis capable de voyager dans le temps et de me téléporter depuis maintenant près de 30 ans. »

George était en état de choc. Il ne savait que faire ni que dire. Toute son idéologie venait d’éclater devant ses yeux. Lui à l’esprit si cartésien découvrait qu’un homme pouvait bel et bien avoir des capacités surnaturelles grâce à la science !

Il ne l’aurait jamais cru s’il ne l’avait pas vu de ses propres yeux. Devant le silence et l’expression décomposée de George, le vieillard poursuivit son histoire :

  • « Maintenant j’espère que tu vas me laisser terminer sans m’interrompre. Après que les scientifiques aient découvert mes capacités, ils ont décidé de les exploiter à leur maximum. J’ai dû passer une interminable série d’entrainements et d’exercices afin de perfectionner et de développer mes capacités. Ce n’était pas pire que les expériences, mais c’était quand même extrêmement douloureux et exténuant. Au bout d’un certain temps, mes pouvoirs ont fini par atteindre le sommet de leur puissance. Je pouvais très bien aller jusqu’à cent ans en arrière et d’un bout à l’autre du monde. Les scientifiques m’utilisaient principalement pour leurs rapporter des connaissances du passé ou qui se trouvaient à des milliers de kilomètres. Le seul défaut de mes pouvoirs était le futur. Je ne savais et, ne sais toujours pas comment faire pour m’y rendre. Je n’ai d’ailleurs aucune envie de m’y aventurer, simple question d’éthique vois-tu. D’après moi ce qui doit arriver arrivera un jour ou l’autre et on ne doit rien faire pour le changer. »

Le vieillard au teint blafard marmonna alors quelque chose :

  • « Mais ici c’est un cas différent, je dois tout faire pour empêcher ce qui va suivre. »

George ne saisit pas tout ce qu’il avait dit, mais avait compris un minimum d’information pour demander :

  • « Que devez-vous empêcher ? »

Le vieillard ne répondit pas et restait perdu dans ses pensées.

  • « Monsieur ! Est-ce-que vous m’entendez ? Que devez-vous empêcher ? »
    George claqua des doigts pour le sortir de son imagination.

- « Monsieur comment êtes-vous arrivé ici ? Pourquoi êtes-vous venu me trouver ? Que devez-vous empêcher ? Comment savez-vous toutes ces informations sur moi alors que c’est la première fois que je vous vois ? »
Le vieillard sortait de sa torpeur.

  • « Calme toi George, une question à la fois. Je n’ai plus beaucoup de temps. Ils vont bientôt arriver. »

George commençait à en avoir marre de toutes ces informations sans aucuns sens.

  • « Qui ? Qui va bientôt arriver ? Donnez-moi une réponse bon sang ! »
  • « George, tais-toi et laisse-moi tout t’expliquer. Après avoir développé mes pouvoirs j’ai décidé de m’échapper de ce laboratoire où j’étais retenu prisonnier depuis plusieurs années. Ils avaient beau être des scientifiques, ils n’étaient pas très futés. Une nuit je remontais le temps. Mais quelque chose de bizarre s’était produit. Je n’avais pas atterri là où je le voulais. D’après ma théorie ce sont les murs renforcés du laboratoire qui ont empêchés mes calculs d’être précis et cela a donc faussé mon voyage. Je me suis retrouvé en l’an deux milles. Le voyage temporel m’a épuisé et mes pouvoirs avaient cessé de fonctionner. Malheureusement les années m’ont rattrapées. Cela fait maintenant vingt et un ans que je te cherche, toi, George. Tu ne peux pas imaginer à quel point je suis soulagé de t’avoir enfin trouvé. »

George était sous le choc. Pourquoi voulait-il le trouver ? Lui, un simple écrivain à court d’idée. Il se retint et laissa le vieil homme « magique » parler.

  • « Je vais répondre à tes questions : Comment je suis arrivé ? Chaque jour depuis ce voyage temporel je teste mes pouvoirs et coup de chance, ils sont réapparus aujourd’hui. Pas aussi puissant qu’avant, mais ils sont réapparus. Alors j’ai saisi la chance qui s’offrait à moi et je suis venu te voir. Et à ce que je vois, ta maison est toujours aussi mal décorée et rangée.
  • Pourquoi je suis venu te voir ? Parce que tu es la cause de tous mes malheurs George, c’est à cause de toi que tout ceci m’est arrivé. Tu as gâché ma vie, je suis resté enfermé durant dix ans dans un laboratoire, j’ai été traité comme un vulgaire jouet et j’ai erré durant vingt années supplémentaires à ta recherche.
  • Que dois-je empêcher ? Je dois t’empêcher de prendre la pire décision de ta vie pour éviter de me faire subir tout ça, pour que tu évites de ruiner mon existence. »

Le vieillard s’était levé, commençait à pointer du doigts George et avait pris un ton, non pas agressif, mais plutôt déçu, à bout de nerfs.

  • « Qui arrive ? Tu veux vraiment savoir qui arrive ? Eh bien ce sont les agents du laboratoire ! Et tu devrais avoir peur, car ce ne sont pas de simples agents de sécurités que l’on trouve dans les supermarchés. Non, ceux-là sont de véritables armes de guerre suffisamment équipés pour te faire obéir ! Ils viennent nous chercher pour NOUS ramener et NOUS faire souffrir, encore plus que la première fois . Certes ils ne sont pas très futés mais pas idiots non plus . Donc en théorie si leurs calculs et leur GPS sont opérationnels, ils savent que je me trouve ici en ce moment même avec toi. »

George resta silencieux un moment, le temps de digérer les informations puis dit :

  • « Monsieur, je veux bien vous croire mais il reste un détail qui ne colle pas. Comment connaissez-vous toutes ces informations sur moi et pourquoi suis-je la raison de vos malheurs ? »

Le vieillard prit une inspiration, sourit et dit d’un ton calme :

  • « Oh mais c’est tout simple mon petit George. C’est parce que je suis toi ! Le toi du futur qui vient pour t’avertir que si tu ne pars pas maintenant avec moi deux solutions s’offrent à toi : soit dans quelques jours tu feras la rencontre d’un scientifique qui te proposera d’être son sujet d’expérience, soit dans quelques minutes des soldats armés jusqu’aux dents vont venir t’interroger mais bien-sûr entre temps moi je serais parti. Que choisis-tu ? Rester ici où remonter le temps de quelques jours afin de trouver une idée pour ton livre et ne pas gâcher notre vie ? »

George mis cette fois plus de temps à avaler tout ce que son double du futur venait de lui dire. Maintenant tout était clair. Voilà pourquoi il n’y avait pas eu d’empreintes de pas dans la neige, le vieillard s’était téléporté jusque devant sa porte, voilà pourquoi il connaissait autant de chose sur lui et voilà pourquoi il se sentait aussi à l’aise dans la maison.

George pris une inspiration et dit :

  • « C’est d’accord, je vous suis. Je ne vois pas pourquoi je ne me ferais pas confiance à moi-même après tout. »

Après un bref sourire George pris la main du vieil homme qui sentait l’alcool et en un battement de cils ils disparurent . Sous la force de l’impact donné par les agents du laboratoire la porte sauta de ses gonds et vola en éclats dans le salon vide . George et le vieillard avaient réussi à s’enfuir. Ils disposaient de quelques jours afin de pouvoir terminer son livre, l’aventure qu’il venait de vivre pourrait faire un bon sujet d’histoire.