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NOVARINA Valère

Suisse

Le Jeu des ombres (éditions P.O.L., 2020)

© Irma Rosentalski

Valère Novarina est ce qu’on pourrait appeler un inventeur de mots. Dramaturge, essayiste, metteur en scène, poète, écrivain, peintre, il réinvente jour et nuit le langage et tout ce qui le compose. Chacune de ses œuvres vient tour à tour compléter la précédente, comme un immense corps en mouvement qui ne cesserait jamais de changer, muer, muter, en proie aux passes poétiques de son créateur. Il en ressort de tout cela une œuvre monumentale, protéiforme, dont on ne peut se contenter de la lire ni de la voir. Novarina revient avec Le Jeu des Ombres, œuvre commandée à l’auteur par le metteur en scène Jean Bellorini, en vue d’être créée dans la Cour d’honneur du Palais des papes en juillet 2020, dans le cadre du Festival d’Avignon. Dans cette nouvelle pièce, le dramaturge offre une relecture très libre du mythe d’Orphée et d’Eurydice au croisement d’une dramaturgie du spectaculaire et de questionnements métaphysiques. Le travail de Novarina est sans doute l’une des expériences les plus radicales du pouvoir du théâtre dans sa maîtrise éclairée du langage poétique. Lauréat du prix Ganzo de poésie 2020, il le recevra cette année à Saint-Malo.

"J’ai toujours pratiqué la littérature non comme un exercice intelligent mais comme une cure d’idiotie. Je m’y livre laborieusement, méthodiquement, quotidiennement, comme à une science d’ignorance : descendre, faire le vide, chercher à en savoir, tous les jours, un peu moins que les machines.
Beaucoup de gens très intelligents aujourd’hui, très informés, qui éclairent le lecteur, lui disent où il faut aller, où va le progrès, ce qu’il faut penser, où poser les pieds ; je me vois plutôt comme celui qui lui bande les yeux, comme un qui a été doué d’ignorance et qui voudrait l’offrir à ceux qui en savent trop.
Un porteur d’ombre, un montreur d’ombre pour ceux qui trouvent la scène trop éclairée : quelqu’un qui a été doué d’un manque, quelqu’un qui a reçu quelque chose en moins.
Je continue, je quitte ma langue, je passe aux actes, je chante tout, j’émets sans cesse des figures humaines, je dessine le temps, je chante en silence, je danse sans bouger, je ne sais pas où je vais, mais j’y vais très méthodiquement, très calmement : pas du tout en théoricien éclairé mais en écrivain pratiquant, en m’appuyant sur une méthode, un acquis moral, un endurcissement, en partant des exercices et non de la technique ou des procédés, en menant les exercices jusqu’à l’épuisement : crises organisées, dépenses calculées, peinture dans le temps, écriture sans fin.
Tout ça, toutes ces épreuves, pour m’épuiser, pour me tuer, pour mettre au travail autre chose que moi, pour aller au-delà de mes propres forces, au-delà de mon souffle, jusqu’à ce que la chose parte toute seule, sans intention, continue toute seule, jusqu’à ce que ce ne soit plus moi qui dessine, écrive, parle, peigne.
Etablir toute une chronologie d’horaires minutieux, pour être hors du temps. Placer devant soi mille repères pour se perdre.
C’est ce que j’ai toujours recherché en écrivant : le moment où ce n’est plus un écrivain qui écrit, mais quelqu’un qui est sorti de soi, moment qui ne se trouve qu’au bout du long chemin d’exercices, tout à la fin du travail, moment de conscience totale, de libération, moment ou j’ai perdu toute intention d’écrire, de peindre, de dessiner, moment où la parole a lieu toute seule, comme devant moi, hors de moi.
Je n’ai jamais supporté l’idée que quelqu’un fasse quelque chose. Mes livres, j’ai mis chaque fois cinq ans à les faire, des milliers d’heures, de corrections maniaques ; mais ils se sont faits tout seuls. Je n’ai jamais écrit aucun de mes livres.
On ne protestera jamais assez contre ce nom qui nous est donné : ce qu’on appelle un homme mais qu’on devrait appeler autrement. On ne naît pas qu’une fois, je ne suis pas né qu’une fois : il nous faut toujours renaître à nouveau, être sans nom et protester contre toutes les manières dont nous sommes représentés, protester contre la figure humaine, contre toute science de l’homme, contre tout ce qui prétend être une science de l’homme, détruire toutes les idoles, briser sans cesse les images qu’on veut faire de nous, protester contre toutes les images de l’homme, contre toutes les cartes, les schémas de notre dehors et dedans, refuser toujours de porter notre nom. Parce que nous sommes au-delà de nos noms, au-delà de os images, non pas parlant mais renversant nos langues, traversant nos mots, en travers, en traversée, dans une forêt de langue, dans une foule de paroles, dans une ville d’inscriptions, ceux qui passent, ceux qui traversent."

Le site de Valère Novorina


Bibliographie

Aux éditions P.O.L.

  • Le Jeu des ombres (2020)
  • L’Animal imaginaire (2019)
  • L’Homme hors de lui (2018)
  • Voie négative (2017)
  • Le Vivier des noms (2015)
  • Observez les logaèdres ! (2014)
  • La Quatrième Personne du singulier (2012)
  • Le Vrai sang (2011)
  • Le Babil des classes dangereuses (2011)
  • L’Atelier volant (2010)
  • L’Envers de l’esprit (2009)
  • Le Monologue d’Adramélech (2009)
  • Falstafe (2008)
  • L’Acte inconnu (2007)
  • L’Espace furieux - nouvelle édition (2006)
  • Au dieu inconnu – CD (2006)
  • Lumières du corps (2006)
  • Scène – DVD (2006)
  • La Scène (2003)
  • L’Equilibre de la Croix (2003)
  • L’Origine rouge (2000)
  • Devant la parole (1998)
  • Le Jardin de reconnaissance (1997)
  • L’Avant-dernier des hommes (1997)
  • L’Espace furieux (1997)
  • Le Repas (1996)
  • La Chair de l’homme (1995)
  • L’Inquiétude (1993)
  • L’Animal du temps (1993)
  • Je suis (1991)
  • Pendant la matière (1991)
  • Vous qui habitez le temps (1989)
  • Le Théâtre des paroles (1989)
  • Le Discours aux animaux (1987)
  • Le Drame de la vie (1984)

Chez d’autres éditeurs

  • Personne n’est à l’intérieur de rien avec Jean Dubuffet (L’Atelier contemporain, 2014)
  • 8 personnages du Drame de la vie, (Atelier Marie-Sol Parant, 2013)
  • L’Organe du langage, c’est la main, dialogue avec Marion Chénetier-Alev, (Argol, 2013)
  • L’Opérette imaginaire, (Gallimard, « Folio Théâtre », 2012)
  • Une langue inconnue, (Zoé, « Minizoé » 2012)
  • Incandescence baroque en Italie du Nord, avec Marc Bayard, photographies de Giovanni Ricci-Noveara (L’Autre Monde, 2012)
  • Je, tu, il, (Arfuyen, « Cahiers d’Arfuyen », 2012)
  • Je, tu, il. Prologue à La Métamorphose, pour trois sopranos, un baryton et un ensemble, conducteur, musique de Michaël Levinas (Henry Lemoine, 2011)
  • La Loterie Pierrot, version annotée et illustrée, (Héros Limite, 2009)
  • L’Acte inconnu (Gallimard, « Folio Théâtre », 2009)
  • Le Drame de la vie, (Gallimard, « Poésie », 2003)
  • Le Feu, photographies de Thérèse Joly (Comp’act, 1994)
  • Pour Louis de Funès, précédé de Lettre aux acteurs, (Actes Sud, 1986)
  • La Lutte des morts, suivi de Le Drame dans la langue française, (Christian Bourgois, 1979)
  • Lettre aux acteurs, (L’Énergumène, « L’Autre Bibliothèque », 1979.
  • La Fuite de bouche (Jeanne Laffitte « Approches Répertoire », 1978)
  • Le Babil des classes dangereuses (Christian Bourgois, 1978)
  • Falstafe (Christian Bourgois, 1977)
Le Jeu des Ombres

Le Jeu des Ombres

éditions P.O.L - 2020

Le théâtre est l’autre lieu. L’espace s’y appelle autrement : à droite la cour, devant la face, à gauche le jardin, au fond le lointain, au ciel les cintres, sous le plateau les dessous. Au singulier, "les dessous" deviennent le dessous, l’inférieur - qui, remis au pluriel, ouvre les enfers... Qui est dessous ? En dessous de tout ? - Le langage, le verbe, la parole. - Qui est descendu aux Enfers ? - Orphée, Mahomet, Dante, le Christ. Qui soutient tout, nous constitue, nous structure, nous porte ? nous supporte ? nous sous-tend ? Quel est notre sous-sol ? - Notre langue. C’est sur elle que toute la construction humaine repose. C’est par elle que nous avons été (légèrement, fragilement¿ ! ) séparés des animaux. Nous sommes des animaux qui ne s’attendaient pas à avoir la parole.

L'animal imaginaire

L’animal imaginaire

P.O.L - 2019

Avons-nous oublié que nous étions aussi des animaux ? Que notre aventure est celle de l’animal parlant ? Dans ce nouveau texte dédié au théâtre, et qui ne se veut pas simplement le livret d’une pièce, Valère Novarina nous fait assister à la mise en espace de la parole humaine. « C’est un livre, écrit l’auteur, où les sons viennent se croiser et renaître. Il procède de la touche, de la retouche, du repentir. Et en cela il imite, poursuit mon travail de peinture : retrouver une toile d’il y a 12 ans, la faire pivoter d’un quart de tour, et la poursuivre autrement. »
« L’Animal imaginaire » voyage parfois dans des textes anciens : les reprend à l’envers, les déplace. C’est vers ce jeu de toutes choses dans l’espace, ces aventures plurielles, cette profonde forêt d’écho que le livre tend.

L’Animal imaginaire sera créé au théâtre, par l’auteur lui-même, le 20 septembre 2019 dans la grande salle du théâtre de la Colline à Paris, pour 20 représentations. Avec notamment Dominique Parent, Christian Pacoud, Agnès Sourdillon... Tournée en novembre à Bayonne ; décembre Villeurbanne ; janvier Sète, etc.