Le ruban rouge

La pluie venait tout juste de cesser de tomber. Simon sortit de la voiture puis ouvrit le hayon et le chien sauta à terre. Simon laissa l’animal se dégourdir les pattes, le temps qu’il enfile sa veste et attrape sa canne à pèche et son panier.

Tenant le chien en laisse, Simon emprunta l’abrupt chemin de halage qui menait à la rivière. Dans un virage, il y avait des dizaines de troncs de sapins calibres, soigneusement empilés et marques à la peinture rouge, qui attendaient qu’on vienne les chercher. Une fois parvenu sur la berge, Simon remonta la rivière sur une centaine de mètres, jusqu’à l’endroit où se trouvait sa barque cachée sous une épaisse couche de fougères. Il attacha la laisse à un arbrisseau. Le chien était nerveux, tirant sur la laisse en direction de l’aval et couinant comme un rongeur pris dans une nasse. Simon déposa la canne et le panier au sol. Il entendit alors un craquement dans son dos, comme une branche qui se brise. Il se retourna, mais ne vit personne, ni rien d’anormal dans le décor. Le chien se mit à aboyer. Simon le fit taire, puis retira les fougères et entreprit de retourner la barque pour la pousser jusqu’à l’eau. Ce fut au moment où̀ la coque basculait que Simon comprit qu’il n’irait pas pêcher ce jour-là̀, pas plus que les jours suivants.

L’objet tomba sur le sol avec un cliquetis métallique. Dans la tête de Simon, ses pensées s’entrechoquèrent. Il regarda les clés et les reconnut immédiatement. Simon réfléchit à toute vitesses ; comment était-ce possible ? La panique l’envahit, putain, putain, PUTAIN !! Simon regarda autour de lui, ses mains tremblaient.

Juste cinq petites clés en métal, attachées à un petit trousseau reliés à un porte-clés avec ses initiales. Il y avait toutefois un léger détails en plus...totalement...incongru. Un énorme lacet rouge relié au petit trousseau, comme pour dire « regardez-moi ». Oui, c’était bien les clés du musée, Simon était persuadé de les avoir perdues ce soir-là, ce fameux soir qu’il regrettait tant.

Mais qu’est-ce qu’elles foutaient là ?! Qui les avait mis là ?! Quelqu’un le savait... c’était évident... On voulait le faire chanter, oui c’est ça, quelqu’un savait et il se servait de ses clés pour le faire comprendre à Simon... mais qui ? Personne ne connaissait la cachette de la barque... sauf sa famille bien sûr.. mais alors qui l’avait espionné ? Quelqu’un qui l’avait aperçu au cours de cette foutue soirée ?? Simon se retourna pour scruter la rivière, le chien lui-même n’aboyait plus comme s’il sentait l’inquiétude de son maître. Le silence était angoissant. Simon sentait l’odeur de la terre mouillée lui chatouiller les narines. Des gouttes de pluie commençaient à tomber.

Il y a deux mois, Simon avait reçu un message d’un inconnu. Cet homme savait qu’il était gardien de musée. L’inconnu voulait que Simon lui rende un service, quelque chose qu’il n’aurait pas dû faire. Mais Simon avait besoin d’argent et l’homme qui l’avait contacté n’en manquait pas. Alors Simon avait accepté car le plan semblait parfait et il n’y avait aucune chance que quelqu’un puisse comprendre le rôle qu’il y avait joué.

Une nuit, il avait désactivé les caméras de surveillance, il avait décroché le tableau du mur, l’avait enlevé du cadre et à la place y avait glissé la copie fournit par l’inconnu. Il avait vérifié que tout collait bien avant de mettre le vrai tableau roulé dans un extincteur vide donné par l’homme. Ensuite, il devait être 23 heures, Simon avait déposé l’extincteur à l’endroit indiqué. Le tableau valait cher mais comme le musée n’était pas connu, le faux tableau n’avait pas encore été remarqué. Mais maintenant que quelqu’un avait découvert son secret...

Ses clés il ne les avait plus le lendemain matin, il les avait cherchées toute la journée, refait toutes les salles du musée. Le seul endroit où il pouvait les avoir perdues, était sûrement la salle de contrôle des caméras et des alarmes. Il avait besoin de ses fameuses clés pour y retourner. Si quelqu’un avait trouvé ses clés, il avait certainement fait le lien avec lui.
Il sortit son téléphone de sa poche. Il tapa son code dans un mouvement de terreur et de panique, il dut recommencer plusieurs fois... Il était sûr que cela allait se savoir, que maintenant il allait être traqué par la police... peut-être même aller en prison... Si seulement il avait refusé....

Il décida d’appeler l’inconnu, il s’appelait Franck, en tout cas, c’était le nom qu’il avait donné à Simon.
L’homme mis cinq secondes pour répondre, les secondes les plus longues de la vie de Simon :
− Allo ?
− Salut Franck, c’est pour un truc urgent. A qui as-tu parlé de l’échange ?
− Bordel, Simon, ne me dit pas que quelqu’un sait ?
− Non, t’inquiète répondit Simon avec un petit rire nerveux, c’est juste pour savoir.
− OK mec, personne n’est au courant en dehors de toi et moi, si tu veux tout savoir. J’ai rien dit, juré !
− Merci, et Simon raccrocha.

Et maintenant ? Simon n’avait pas la tête à aller pêcher ni à rentrer chez lui. Peut-être appeler un ami qui travaillait aussi au musée ? Non. C’était sûrement pas la meilleure chose à faire. Simon ne savait plus quoi faire, il en avait marre.
Il s’assit sur un rocher au bord de l’eau . Il ramassa un caillou plat et le lança à la surface : trois ricochets. Simon réfléchissait. Il se leva pour aller vérifier s’il y avait autre chose sous la barque, mais rien. Il ne voulait pas aller en prison ni se retrouver en garde à vue, il était mort de peur et plein de remords d’avoir volé ce tableau. Ses parents allaient être tellement déçus. Sa mère qui était si fière de lui, du fait qu’il ait trouvé un travail. Simon avait envie de crier, de hurler...tout était de sa faute. Il n’aurait jamais dû répondre à ce message. Il en voulait à Franck mais le pire était le sentiment de regret qui le rongeait jusqu’au cœur. Et pourquoi ce ruban rouge ? Est-ce que c’était une menace ? Un indice ? Simon avait beau chercher, il ne comprenait pas. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’aurait jamais dû accepter cette offre. Il sortit de nouveau son téléphone de sa poche. Il y avait un peu de réseau, il regarda ses messages. L’un était d’un copain qui lui demandait quand il irait pêcher un de ces jours, il ne répondit pas. L’autre était de sa sœur, 2 heures auparavant :
« Coucou, je t’ai emprunté ton manteau, il y avait tes clés dans la poche. je les ai mis sous ta barque avec un gros ruban rouge pour que tu les vois. Bonne pêche. Embrasse papa et maman pour moi. Alice ;) »