Ceci (n')est (pas) un roman

Le festival Étonnants Voyageurs s'intéresse au genre littéraire de la "creative nonfiction", en pleine expansion. Explications et exemples à la clé.

Par Valérie Marin La Meslée

Sylvain Tesson, dans sa cabane au bord du lac Baïkal.
Sylvain Tesson, dans sa cabane au bord du lac Baïkal. © Thomas Goisque

Temps de lecture : 4 min

On l'appelle creative nonfiction. Ne vous fiez pas à sa dénomination : son contenu est des plus excitants. Ce genre, en débat au festival Étonnants Voyageurs, n'a pas encore gagné sa place officielle en France. Mais dans le monde anglo-saxon, une revue lui est consacrée depuis près de vingt ans déjà, dont le slogan est clair : true stories, well told (histoires vraies, bien racontées). Au croisement du reportage et de l'essai, du journalisme et de la narration romanesque, cet art nourrit les esprits curieux de la réalité du monde, mais sans sacrifier l'exigence littéraire.

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Cette manière d'écrire a été qualifiée de "nouvelle littérature" par le grand reporter et écrivain polonais Richard Kapuscinski (1932-2007), à ne pas confondre, donc, avec le courant du "nouveau journalisme", né avec les Tom Wolfe, Joan Didion, ou encore Hunter S. Thompson. En 1987, l'auteur d'Ébène confiait à Bill Buford, dans la revue Granta, que bien longtemps après son travail de reporter pour une agence il s'aventurait pour ses livres du côté de silva rerum, cette forêt des choses qui entoure les faits. Autrement dit, du côté de la littérature... Où sont les limites d'un genre à l'autre, d'un auteur à l'autre, journaliste ou romancier ? Au final, l'important n'est-il pas que le livre soit bon ?

Reportage littéraire

Observons le succès de Congo, une histoire du Belge David van Reybrouck, deux fois primé dans son pays d'origine, la Belgique, puis trois fois en France. Catalogué "essais et témoignages" chez son éditeur Actes Sud, il déplace pourtant le genre par sa technique narrative. Van Reybrouck est d'ailleurs écrivain, auteur de récits et dramaturge, avant d'être l'historien qui signe ce pavé remarquable. Mais c'est l'historien "d'une" histoire, qui engage sa personne et sa sensibilité profonde, particulièrement face à ces témoins ou acteurs de l'histoire qu'il a interrogés, chacun d'entre eux devenant sous sa plume un personnage. De même pour les décors et les scènes auxquels il nous donne d'assister : du réel, certes, mais narré comme dans un roman.

Toujours chez Actes Sud, Lieve Joris travaille, elle, depuis longtemps déjà dans un champ qui n'est pas nommé "essai" ni "témoignage" mais "récits, mémoires, témoignages". De la Syrie au Mali en passant par le Congo et bientôt la Chine où elle a suivi les Africains, cette voyageuse capte, de son regard si personnel, une réalité qu'elle rend présente en profondeur, aussi diverse soit-elle. Faites le test avec son recueil de nouvelles Ma cabine téléphonique. "J'applique au réel les techniques de narration du roman pour révéler la dimension romanesque du réel", écrivait Bruce Chatwin (1940-1989, auteur de Patagonie, Grasset, cahiers rouges) : d'aucuns parlent de reportage littéraire, et des revues comme XXI sont là pour confirmer l'appétence du public pour ces départs en bonne compagnie.

Un regard

Car, bien sûr, ce qu'on appelle travel writing (récit de voyage) est l'un des piliers de la creative nonfiction. Le débat organisé à Saint-Malo* avec Michel Le Bris aura justement lieu après la remise du prix Nicolas Bouvier. Or, avec L'usage du monde, cet écrivain suisse a balisé un chemin littéraire emprunté à sa façon par Jacques Lacarrière dans L'été grec, En cheminant avec Hérodote et autres textes sublimes réunis dans la collection Bouquins (Laffont) sous le titre Méditerranée. Plus récemment, les routes empruntées par Sylvain Tesson en Sibérie (Dans les forêts de Sibérie, Folio), par le Triestin Paolo Rumiz (Aux frontières de l'Europe, Folio) ou encore par le Polonais Mariusz Wilk (Dans le sillage des oies sauvages, Noir sur Blanc) sont autant de livres obéissant à cette invisible loi d'un genre qui les défie tous.

Ces voyageurs n'ont pas de frontières. Ils ont un regard. Il faut suivre celui de Noo Saro Wiwa, dont on attendait depuis Brazzaville en février dernier la traduction de Transwonderland (aux éditions Hoëbeke), lequel est la preuve du miracle nigérian en littérature. Ayant grandi en Angleterre - où elle vit toujours -, la fille du leader et écrivain Ken Saro Wiwa, pendu sous la dictature, rêvait, petite fille, de vacances comme celles de ses amies. À Disneyland ou autre parc d'attractions... Mais voilà, elle devait suivre son père chaque été pour les retrouvailles familiales aux sources du pays natal. Un cauchemar ! Et après tout un temps sans vouloir ni avoir la force de l'entamer, la jeune femme décide de son retour au Nigeria. Un voyage écrit avec distance, humour, émotion aussi, au pays des contrastes qu'elle offre en mêlant l'histoire, la politique, le social, l'économie, la famille dans un maillage extraordinaire où le réel dépasse souvent la fiction. Bref, un modèle de creative nonfiction... qu'on pourrait peut-être traduire par transwonderlitterature ?


À lire aussi : Michel Le Bris : Les écrivains donnent à voir l'inconnu du monde et Saint-Malo : toutes fictions dehors

*Dimanche 19 mai 17 h 45. "On l'appelle la créative nonfiction". Palais du grand large, Salle Maupertuis, avec David van Reybrouck, Gabriel Martinez, Noo Saro Wiwa, Paolo Rumiz, Michel Le Bris


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