La nuit du serpent d’or

Nouvelle de Marie-Neige GAUDRON, incipit 1, en 6ème au collège La Vanoise, Modane (73)

« Que veux-tu en échange ? » demanda-t-elle dans sa langue rude.

Kosmas sortit de sa rêverie et posa son regard sur l’amazone. Il voyait mieux à présent : elle était grande et mince, sa peau était tannée par le soleil du désert et un poignard aiguisé pendait à sa ceinture. Ses longs cheveux noirs, lâchés sur ses épaules, cachaient l’endroit où aurait du se trouver son oreille droite. Mais sa beauté était gâchée par un éclat de méchanceté, tapi au fond de son œil.

Kosmas fronça les sourcils. Il avait déjà vu un regard semblable quelque part, mais où ?

« Que veux-tu en échange ? » répéta-t-elle.

Kosmas fixa son prix et l’Amazone emporta le collier, avec un air triomphant bien visible.

Le reste de la journée se déroula sans incidents majeurs. Il vendit plusieurs autres objets mais il avait l’esprit ailleurs. Le souvenir de ces yeux le tarabustait.

Lorsque le soir arriva, il jeta les articles restant dans un sac, replia sa couverture et repartit vers sa case située un peu à l’écart de la ville.

Il posa son sac dans un coin de l’unique pièce, dîna rapidement d’un bol de mil, accompagné d’une tasse de thé puis s’étendit sur sa paillasse. Il eut un mal fou à trouver le sommeil. Lorsqu’il s’endormit enfin, ce ne fut que pour voir les mêmes yeux le hanter.

Il se réveilla en sursaut. Il regarda autour de lui tandis que les évènements de la veille remontèrent dans sa mémoire. Il avait un mauvais pressentiment.

En un bond, il fut près de la porte. Il passa la tête par l’ouverture. La lune était invisible et les étoiles avaient une lueur inquiétante. Il eu une seconde d’hésitation avant de sortir en courant. Il n’eut pas besoin de se demander par où aller, son instinct le guida vers le désert, loin, de plus en plus loin de la ville.

Il commençait à s’essouffler lorsqu’il s’arrêta net. Niché au creux des dunes, se dressait un vieux temple à moitié en ruine. Le cœur de Kosmas se mit à battre plus fort. C’était là.

Le garçon dévala la pente et se jeta contre la porte, sans que celle-ci ne s’ébranle. Il remarqua alors une barre de fer à moitié rouillée qui bloquait l’accès et ne semblait pas décidée à bouger.

Kosmas referma ses mains dessus et tenta de la soulever sans grand succès. Il renouvela l’opération mais cette fois il parvint à l’élever légèrement. Il reprit son souffle, le temps de se demander si c’était une bonne idée que de vouloir à tout prix entrer. Enfin, au bout de quelques minutes d’effort, Kosmas réussit à ouvrir la lourde porte. Il entra.

Au début, il ne vit rien. Il faisait un noir complet. Il n’entendait pas un bruit non plus. Il sentait juste une odeur… comme si quelqu’un faisait brûler de l’encens. Etrange.

Au bout d’un moment, ses yeux s’habituant à l’obscurité, il commença à percevoir des formes qui semblaient être des statues de divinités. Puis peu à peu, il aperçut une silhouette accroupie devant la plus grande des statues. Elle était parfaitement immobile et silencieuse.

Kosmas fronça les sourcils… A ce moment précis, la porte du temple se referma dans un grand fracas. La forme accroupie sursauta avant de sauter sur ses pieds et se retourna. Kosmas eut un hoquet de surprise. C’était l’Amazone de la veille, celle qui avait hanté ses rêves de la nuit, celle qui lui avait acheté le pendentif qui, à présent, pendu à son cou, diffusait une lueur étrange. Elle avait toujours ce même regard mais il y lisait aussi une rage froide à son égard. C’était un regard de serpent.

Soudain, elle poussa un sifflement aigu et aussitôt des dizaines de longs rubans sifflants sortirent du sol. En un instant Kosmas comprit et son sang se glaça d’horreur : des serpents ! Des serpents qui, sur un nouveau sifflement de l’Amazone, se dirigeaient vers lui avec la ferme intention de le mordre.

Kosmas se retourna et secoua la porte de toutes ses forces mais rien n’y fit, la barre était retombée. Les serpents étaient tout près. Kosmas saisit une grosse branche qui trainait par terre et fit face aux reptiles.

Il se mit à donner de grands coups de bâtons autour de lui, tuant ou assommant le plus de serpents qu’il le pouvait. Cependant, il en apparaissait sans cesse de nouveaux et le pauvre garçon commençait à fatiguer.

Tout à coup, il ressentit une douleur à la jambe et, baissant les yeux, il découvrit un cobra, crochets sortis. D’un coup de pied, il l’envoya au loin.

Au bout d’un bon moment, tous les reptiles étaient éliminés et Kosmas, exténué par le combat, regardait les dépouilles de ses adversaires.

L’Amazone poussa un cri de colère et se précipita sur lui. Il l’évita habilement mais elle revint à l’attaque. Cette fois, Kosmas ne put l’éviter et le combat reprit de plus belle. La jeune fille mordait, griffait avec acharnement. Elle était souple comme une anguille, Kosmas tentait de la frapper avec son bâton mais elle bougeait sans cesse. Voyant qu’elle ne parvenait pas à renverser l’issue du duel, l’Amazone tira son poignard et Kosmas en profita pour la frapper à la nuque.

L’Amazone s’écroula sans un cri mais son collier s’accrocha dans une petite branche du bâton et la fine cordelette se brisa sur le coup. Le serpent doré tomba sur le sol et la lueur s’éteignit aussitôt.

Kosmas poussa un cri de victoire. Il sentit alors la douleur à la jambe le transpercer et sa vue se brouilla en voyant la trace des deux crochets laissée par le cobra. Il frissonna, tomba à genoux et tout devint noir.

Ses yeux s’ouvrirent. Il était couché sur sa paillasse, trempé de sueur. Il se redressa à demi.

« J’ai rêvé, » pensa tristement Kosmas.

Il remarqua alors que sa jambe était bandée. Intrigué par cette blessure dont il n’avait aucun souvenir, il se mit debout. Le soleil était sur le point de se lever et la ville dormait encore.

Il buta soudain sur un objet dur : une pierre, sur laquelle était posé le pendentif doré.

Kosmas se pencha et ramassa la pierre. Dessus était gravé un mot « Adieu ».

« Adieu, » murmura Kosmas.