La Russie à l’honneur

Lorsque Jacques Rivière, par un retentissant manifeste dans la NRF, en 1913, appelait les romanciers français à retrouver les voies du monde et les grands vents de l’aventure, il donnait, en exemple de cette capacité à dire le monde le roman anglo-saxon, Stevenson, Conrad, et les grands romans russes. « Grand » semble s’accorder si naturellement au pays comme à ses romanciers, géants brasseurs d’univers, explorateurs hallucinés des gouffres humains, au souffle inépuisable, déferlant avec la puissance de torrents ! Tolstoï, Dostoievski, Gogol, Gorki, Pouchkine, la liste est longue jusqu’à Soljénytsine, qui nous paraît aujourd’hui la dernière figure du Grand Ecrivain Russe. Russes, tous, assurément dans leur diversité, et universels pareillement, bouleversant, portant, inspirant tout le roman occidental, malgré les soupirs des belles âmes qui trouvaient, comme Barrès, ces « nourritures trop épicées » pour le goût français (une vieille histoire : Voltaire ne traitait-il pas déjà Shakespeare de « barbare ivre » ?) : des écrivains-monde.

Ils avaient quasiment disparu, à l’exception d’exilés, et de quelques voix dissidentes, baillonnés pendant des décennies par un régime acharné à asservir les esprits, nier en chacun toute dimension de création — voilà qu’ils reviennent. Et c’est tout un continent littéraire nouveau à découvrir…

Voici donc, en une vingtaine d’auteurs la nouvelle littérature russe, dans sa diversité, qui émerge peu à peu des décombres de la littérature « soviétique ». Cela n’aura pas été facile — moins peut-être du fait de l’effondrement du système qui soutenait la production littéraire que de la digestion de l’expérience historique proprement inouïe vécue par cette génération nouvelle. On a pu croire, un temps, que la littérature russe s’étaient comme absentée. A tort : elle renaît. Riche, audacieuse, inventive, dans le chaos d’un monde en plein bouleversement. Qui mieux que ses écrivains et ses cinéastes peut nous le donner à voir ?
Ils nous parlent d’une Russie qui aujourd’hui nous fascine autant qu’elle nous inquiète, d’une Russie des temps présents, et cela sans illusions ni complaisance, mais avec une formidable énergie, mêlant le réalisme le plus cru, le fantastique et le grotesque — ce faisant ils nous parlent, bien sûr, du monde qui vient : de notre monde, déjà…

A un programme très riche de rencontres, s’ajouteront des expositions, l’une sur le « Maitre et Marguerite » le chef d’œuvre de Boulgakov, l’autre sur des illustrateurs russes qui seront pour beaucoup une révélation. Ainsi qu’un programme cinéma très fourni, occasion d’un panorama de la production actuelle, de projections de films rares (« Le géant des steppes d’Alexandre Ptouchko, « Aelita » de Yakov Protozanov) et d’hommages à quelques grands réalisateurs, dont Pavel Lounguine, Alexandre Sokourov, Serguei Bodrov, Alexei Mizguiriov, Pavel Sanaiev qui seront présents. Auxquels s’ajouteront des films de Christophe de Ponfilly, Emmanuel Carrère, Chris Marker, Hélène Chatelain et Iossif Pasternark, Manon Loizeau, Françoise Huguier, Marc Henri Wajnberg, etc…