"L’Afrique, un étonnant destin" par Birama Konaré

Donné perdant de l’élection présidentielle du 28 novembre par la Commission électorale indépendante, Laurent Gbagbo a été déclaré vainqueur avec 51 % des voix contre 49 % à la faveur de Alassane Ouattara et investi illico presto par le Conseil constitutionnel de la Côte d’Ivoire.

Le dimanche 28 novembre, au moment où les Ivoiriens se rendaient aux urnes, j’ai eu l’immense opportunité de participer au panel "pourquoi j’écris ?" dans le cadre de la 6e édition du festival Etonnants voyageurs de Bamako. Voici ma réponse : j’écris parce que j’ai une très belle plume et je suis terriblement atteint de nombrilisme. Je suis Africain, non ? Pardon, j’essaye juste de vous distraire, car j’ai la nausée aujourd’hui. Dans ces moments, il m’arrive de prendre un livre : "Désert" de Le Clezio, "l’Alchimiste" de Paulo Coelho...

La joie que ces récits me procurent, j’ai envie de la rendre en invitant mes lecteurs au voyage, à la méditation, à la sagesse, à l’amour… Sauf que je n’y arrive pas. J’ai du mal à faire rire. Mon style est grave. Mes personnages n’ont presque pas d’échappatoire. Ils ont un destin tragique.

Un destin à l’image de mon continent. Ne disais-je pas dans ma dernière chronique, en parlant de la Côte d’Ivoire : "Ensemble prions pour ce pays. Prions Allah, prions Jésus en baoulé, en dioula, en nouchi… pour que l’éléphant évite d’entrer dans le magasin de porcelaine". Pourtant, il y entra. Il a cassé les porcelaines, a brisé la vie d’innocents, a tenu des propos inacceptables, a posé des actes arbitraires et humiliants pour l’Afrique. Devant les chaînes de télévision internationales, un membre de la majorité présidentielle a empêché de manière brutale l’un des responsables de la CEI de proclamer les résultats provisoires du 2e tour de la présidentielle.

En arrachant les papiers, en les pliant, c’est le cœur de l’Afrique entière qui a été broyé. Face à cette scène invraisemblable, nos cœurs ont saigné à nouveau. Les douleurs ont refait surface : celles d’un continent fragile qui a de fausses prétentions et des airs hypocrites "nous sommes fair-play, nous accepterons les résultats des urnes". Que du bluff !

Mais moi, je ne vais pas baisser les bras. Je ne serai jamais un afro-pessimiste. Je n’en ai pas le droit sinon autant prendre le chemin de l’exil ou arrêter de vivre. En grande perdition, ma pensée se tourne vers nos lumières. Je cogite sur Joseph Ki-Zerbo, sur ses pensées "nan lara, an sara" (si l’on se couche, on est mort). Je me les approprie pour ensuite les partager avec nous à travers ma plume de number one.

Laissez-moi vous distraire un peu. J’ai la tête lourde. Dans un recoin de nom âme où le soleil brille ardemment, je me mets à rêver du futur. Je le positive et j’essaye de relativiser les maux du continent et je n’oublie pas les quelques petits progrès : le respect du choix des électeurs au Sénégal en 2000, le modèle démocratique ghanéen, la stabilité du Mali, la richesse de nos sols, la jeunesse de notre population. Demain, ça ira Inch Allah ! Nous en voyons déjà les prémices, non ? Même dans les élections, "bluffou te urne la" (l’urne ne ment pas).

Les putschistes auront beau s’accrocher au pouvoir mais tôt ou tard, ils s’en iront. Que cela se fasse sans bain de sang, sans humiliation, c’est une supplique. Certains dirigeants africains donnent l’impression d’être des dégénérés et d’aimer les fins tragiques. Ceux-là deviennent des personnages tragiques qui vont au bout de leur destin.

Les sorts du général Guéï, de Mobutu… devraient édifier plus d’un et les ramener à raison gardée. Qu’en pensent nos leaders ? J’écris, car je ne les entends pas. Si nous ne montons pas en pointe, si nous ne réagissons pas, nous laissons la porte ouverte à toutes sortes de dérives.

Je vous laisse. Je vais un peu me détendre, lire Mohamed de Razil Vladir. Je suis fatigué de ces partis politiques devenus des bureaux de placement et des lieux de partage du gâteau. Je suis fatigué de ces dirigeants qui ne pensent pas aux populations. Fatigué, je le suis de ces politiciens qui n’accordent aucune valeur à la sacralité de la vie et de la dignité. Nos aînés nous lèguent une bien triste tradition.

Birama Konaré

Un texte paru dans le quotidien malien Les Echos le 6 décembre 2010.