Juste une vieille connaissance

Alors j’ai sorti mon téléphone de ma poche et j’ai enfin osé composer le numéro que je connaissais par cœur, depuis un an exactement. Encore aujourd’hui, je me rappelle parfaitement du jour où je l’ai découvert …

C’était une matinée comme une autre. La pénombre avait cédé sa place aux premiers rayons du jour, la rosée du matin encore fraiche brillait de mille éclats sous le soleil, tandis que d’innombrables tâches multicolores parsemées un peu partout dans le jardin, donnaient un air printanier au paysage.
C’était amusant, on aurait presque dit une peinture. Mon mari adorait dessiner, il aurait été fou de joie à l’idée de reproduire ce paysage.
J’étais tranquillement en train de me préparer un café, quand quelqu’un toqua à la porte.

  • Qui cela peut¬-il bien être ?
    Comprenez, je n’ai pas l’habitude d’avoir de la visite, surtout à cette heure si matinale ! Cela fait maintenant plus de trente ans que je vis seule : mon mari m’a quitté et je n’ai pas d’enfant. Et rares sont les personnes qui décident de rendre visite à une vieille dame amochée comme moi de leur plein gré ! Je partis donc ouvrir la porte, me demandant qui pouvait bien se tenir derrière elle. Quand je l’ouvris, je fus surprise de constater que l’entrée était déserte.
  • Il y a quelqu’un ? jetais-je dans le vide
    Je n’obtenu aucune réponse. Croyant être victime d’une plaisanterie, je m’apprêtais à rentrer, quand soudain mon regard se posa sur une petite enveloppe rectangulaire posée sur le bas de ma porte. Elle été entourée d’un ruban bleu pâle et accompagnée d’une fleur. C’était un seringat, il parait que cela symbolise le pardon. Etais-ce donc le facteur ? Je saisie délicatement la fleur suivi de l’enveloppe et l’observa de plus près : aucun nom ni adresse n’y figuraient. Non, apparemment, ce n’était pas lui.
    Après avoir jetée un dernier coup d’œil aux alentours, je fermai la porte et partie m’installer dans mon canapé. Une fois confortablement posée, je défie le ruban qui sellait l’enveloppe et l’ouvrit avec délicatesse. A l’intérieur se trouvait une lettre, plutôt longue, dont l’écriture qui la composait était fine et souple. Je commençai la lecture à voix haute.
  • Ma chère amie, Aurore
    Cela doit être maintenant la sixième fois que je recommence cette lettre, car Dieu sais que je n’ai jamais eu la plume très fine, et que les mots glissent à travers les mailles quand il est question de te parler de nouveau après tout ce temps.
    Cela fait même tellement longtemps que je ne t’ai pas parler que j’ai peur de ta réaction. Voilà pourquoi j’ai décidé de t’écrire une lettre en premier temps plutôt que d’affronter ton regard remplis de mépris. Je sais, c’est lâche, mais je ne me voyais pas faire autrement.
    Malheureusement, j’ai bien peur de ne pas savoir par où commencer, ni par quoi d’ailleurs.
    J’ai peur de parler trop pour rien dire, ou alors pas assez, voir même de m’égarer en chemin. J’ai peur de me tromper une fois de plus.
    Mais finalement, je me dis qu’il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises façons d’aborder les choses, je vais donc essayer de te résumer ça comme je le peux, en espérant que tu veuilles bien m’écouter, ou plutôt me lire.
    Je te demande pardon.
    Je sais, cela parait simple comme ça, de s’excuser en griffonnant sur un bout de papier quelques mots déjà usés depuis des siècles.
    Mais je te promets que ça ne l’est pas tant que ça.
    J’ai vraiment du mal à te décrire la tristesse que je ressens quand je pense à toi. Ton nom résonne dans ma poitrine comme un écho, me rappelant le vide que tu comblais autrefois, mais il sonne si fort dans ma tête que même la migraine que celui-ci cause ne saurait autant me faire mal que les souvenirs qui se fanent peu à peu dans mon esprit et que le temps se charge d’effacer.
    Je regrette de ne pas avoir été à la hauteur bien trop souvent, et de ne pas avoir été présent quand tu avais le plus besoin de moi. Je ne mérite même pas le titre d’ami.
    Mais je veux essayer d’arranger les choses et de réparer mes erreurs ainsi que tout le mal que j’ai pu te causer.
    Je sais que je ne regagnerai sans doute jamais ta confiance, mais j’espère au moins regagner ton amitié
    Je te supplie de me laisser la chance de m’expliquer, même si je sais que rien ne pourra jamais me disculper
    Mon numéro de téléphone est inscrit au dos de la feuille,
    Tu peux prendre tout le temps qu’il te faut, j’attendrais, je te le promets
    En espérant de tout cœur de pouvoir te revoir
    Passe une bonne fin de journée, ainsi que toutes les autres
    Une « vieille connaissance »,
    Alex

Ma voix s’éteignit.

Alexandre et moi étions meilleurs amis. Nous avions grandi ensemble, on était inséparables.
On partageait tout , les bons comme les mauvais moments ! On s’est toujours soutenu, quelque soit la situation, on était comme des frères et sœurs.
Rien n’était censé nous séparer.
Rien jusqu’à ce jour.
A l’époque, j’étais mariée. Enceinte depuis 3 mois, je venais d’apprendre que le cœur du bébé ne battait plus. J’étais au fond du gouffre. Je ne voulais plus sortir de chez moi, je ne mangeais plus, je broyais du noir toute la journée et je ne voulais voir personne. Je pensais qu’Alex serait là pour me pousser de l’avant, mais ce fut tout le contraire : il disparut subitement du jour au lendemain, sans laisser aucun message. J’étais anéantis.
C’est à ce moment qu’il disparut définitivement de ma vie.

Je sentis les larmes me montaient aux yeux, mais ce n’était pas de la tristesse.
Il m’avait abandonné, me laissant seule dans ma peine, pour maintenant faire irruption dans ma vie en un claquement de doigt et croit encore que je peux « le pardonner » ?
Je froissai le papier entre mes mains et le lançai le plus fort possible contre le mur. Il rebondit et percuta le seringat que j’avais posé sur une petite table. Celui-ci perdit quelques pétales sous l’effet du choc.

Le champ dans lequel je me trouve est de toute beauté. Le ciel est tellement rouge qu’on le croirait teinté de sang. Devant moi, des hectares de blés s’étendent à perte de vue jusqu’à former un long manteau doré recouvrant le terre ferme. Au loin, une géante sphère orangée descend du ciel, annonçant la fin d’une journée bien chargée.
Le contexte dans lequel je me trouve aujourd’hui est le pur opposé de celui duquel je me trouvais, il y a un an de cela. Mon état d’esprit n’est aussi plus le même d’ailleurs. Belle ironie du sort, non ?

Pendant que le numéro se compose, je prends le temps de repenser à toute cette histoire.
J’ai bien réfléchis, et finalement, j’ai fait un choix. Je sais, cela peut paraitre long, un an pour faire le simple choix d’appeler un numéro, mais j’avais vraiment besoin de ce temps.
J’ai décidé de l’appeler. Je n’espère pas que l’on redevienne ami, mais je suis prête à lui laisser la chance de s’expliquer. Pas seulement pour lui, mais pour moi aussi. J’ai besoin de ces explications. Et puis, je tiens à voir si il a bien tenu sa promesse et ne m’as pas déjà oublié de nouveau.

Tout à coup, quelqu’un décrocha. A ma grande surprise, ce fut une voix féminine qui retentie.

  • Bonjour, qui est à l’appareil ?
  • Bonjour, désolée de vous dérangez, je m’appelle Aurore Contritis, puis-je parler à monsieur Alexandre Delatour je vous prie ?
  • Monsieur Delatour ? Vous parlez de l’ancien propriétaire ?
  • L’ancien propriétaire ? répétais-je confuse
  • Oui, l’ancien propriétaire de ce manoir ! Je suis Josiane, je travaillais ici pour Monsieur il y a quelques mois encore.
  • Il y a quelques mois ? Cela veut dire que ce n’est plus le cas ? Il vous a licencié ?
  • Oh non madame, c’est qu’Alexandre Delatour est mort, il y a peu de temps. Un accident de voiture, le pauvre homme n’y a malheureusement pas survécu ! Vous n’étiez donc pas au courant ?

Un ange passa.
J’aurais pu pleurer, mais étrangement, je ne le fit pas. Non. A la place, je me suis contentée de fixer l’horizon.

C’est là que je le vit.

De dos, on le confondrait presque avec le paysage. Son carnet de dessin à la main, il semble gribouiller quelque chose. Il est tellement concentré que l’on pourrait croire que sa vie en dépendait. Soudain, il se retourna d’un air satisfait, puis leva la tête en ma direction. Nos regards se croisèrent, pour la dernière fois. Il me sourit. Puis, dans un signe de la main, il disparut avec l’ombre du soleil couchant.

  • Oh ! Je suis tellement désolée que vous l’appreniez ainsi ! Vous étiez de sa famille ? Ou un de ses proches peut-être ?

Je continue de fixer l’horizon.
A l’endroit même où se tenait la silhouette il y a à peine quelques secondes, un seringat se dressait fièrement en plein milieu du paysage.
Au creux de ma main, mon alliance encore chaude me donnait de la consistance. Je ne l’ai jamais jeté. Je n’ai jamais osé. Peut-être qu’au final, je n’avais jamais vraiment cessé de l’aimer…
Je souris.

  • Oh, non ! Juste… une vieille connaissance