Je voulais être libre

Alors j’ai sorti mon téléphone de ma poche et j’ai enfin osé composer le numéro que je connaissais par cœur, depuis un an exactement.
Des années d’errance et de galère dans la plus grande solitude et avec la certitude d’être complètement indépendant et libre, alors tout juste âgé de dix-sept ans, je ne connaissais que la violence comme moyen d’expression, de communication. Bien évidemment, ce comportement m’avait finalement valu un renvoi de mon lycée. J’en étais arrivé à passer mes journées seul, renfermé dans ma petite chambre de neuf mètres carré meublée d’un bureau, d’une petite chaise noire à roulettes et d’un lit. Je comblais ma solitude journalière en me perdant dans les jeux vidéo en ligne, ce qui me permettait de garder un semblant de contact, certes virtuel mais me permettait aussi de m’inventer des personnages me ressemblant et ainsi oublier pour un temps un mal être quotidien. Aujourd’hui, je me rends compte de l’impuissance de mes parents face à un tel comportement. Ils auraient tellement souhaité que je trouve un travail convenable, que je me sociabilise. En fait, que je suive la route qu’ils avaient tracée pour moi, une vie bien rangée et classique.
Pourtant moi, j’en avais décidé autrement. Je sortais des règles familiales. Je me rebellais, je refusais d’être celui qu’ils voulaient que je sois. Je refusais catégoriquement de rentrer dans leurs moules. Je voulais juste être moi et leur prouver qu’ils pouvaient me faire confiance. C’est comme ça que je voyais ma vie. Devenir libre et autonome passait par braver tous les interdits. C’est alors que je me mettais à fumer, à boire et me droguer. N’est-on pas plus libre quand on fait tout ce que nos parents nous interdisent ? En tout cas c’est ce que moi je croyais. Quant à mes parents, s’en était trop ! Ils allaient finir par me mettre à la porte et me rejeter comme un vulgaire étranger.
La porte de la maison définitivement fermée, mes parents m’excluant de leurs vies, ne voulant plus jamais entendre parler de moi, j’allais enfin me retrouver seul et libre de mes choix. C’est ce que je croyais !
Voilà comment je me suis retrouvé à dix-sept ans dans la rue sans plus aucun repaire. Je venais de perdre mon identité, mes racines. Fallait-il en passer par là pour s’assumer ? Mon année dans la rue, seul, abandonné. La vie en tant que SDF, mon dieu que c’est difficile ! Vos journées se résument à faire la manche pour essayer de récolter quelques pièces pour pouvoir vous nourrir, chercher des endroits où passer la nuit dans un minimum de confort et essayer de garder des idées positives pour survivre. Cependant, je crois que le plus dur pour moi était cette immense solitude. Je voulais être libre, je me retrouvais seul. Parfois, au fil des rencontres, il m’arrivait de rencontrer de belles personnes, c’était alors pour moi l’occasion de faire une trêve à cet isolement. Nous partagions alors des rires, des joies et surtout nous nous comprenions.
Alors que j’avais perdu toute notion du temps, de saisons, je réalisais que cela faisait un peu plus d’un an que cette nouvelle vie s’était imposée à moi. Je me sentais tellement seul, tellement triste. C’était décidé, je ne voulais plus de cette vie-là !
Était-ce un coup du destin ? Un jour, alors que je demandais de l’argent aux passants, une petite fille est venue me voir et en me tendant une petite pièce et m’a glissée cette phrase : « faites-en bon usage Monsieur » et alors qu’elle repartait donnant la main à sa maman, elle fit demi-tour pour me donner son petit ours blanc en peluche auquel elle avait l’air de tenir. Ce fût alors là pour moi une vraie prise de conscience... Il était temps pour moi de rentrer.

Ce matin du 23 décembre 2016 je retrouvais la force, la rage, le courage. Je ne voulais plus être triste, je ne voulais plus sentir les larmes me piquer les yeux et couler sur mes joues. Fini les aléas de la météo. Fini aussi le temps des souffrances, les doigts rougis par le froid, le corps recroquevillé sur lui-même. Il était temps de me redresser. J’étais vivant !
Je me souvenais alors de lui qui devait se trouver dans le fond d’une des poches de mon sac à dos. Cela faisait un an chaque jour que mes pensées allaient vers lui car je savais qu’il était le seul lien avec mes parents... Mon téléphone portable !
Ce numéro que je connaissais par cœur était encore ma seule possibilité de renouer les liens. Fallait-il encore trouver le courage de le faire ?
Une sonnerie et je l’entendais, elle était là. Sa voix n’avait pas changé, c’était bien elle, je l’avais tout de suite reconnue... Maman. Je ne trouvais pas les mots, je redevenais cet adolescent de dix-sept ans, ce petit garçon choyé par ses parents. Tant d’émotions remontaient en moi, il fallait que j’arrive à lui parler et pourtant il me semblait qu’aucun son n’allait sortir de ma bouche. Je n’avais pas encore parlé mais elle savait que c’était moi. Ce silence elle l’avait tellement attendu, elle savait. Elle me demandait de rentrer. C’est alors que je parvenais dans une voix tremblante à lui dire combien je les aimais et combien ils m’avaient manqué. J’avais compris, le temps des excuses et des regrets était arrivé.
Cela fait quelques années que ma vie auprès de mes parents avait repris son cours. J’étais devenu quelqu’un avec une belle situation financière, des valeurs et des principes. J’étais parvenu à ouvrir une petite boutique de prêt-à-porter dans un local à proximité de la maison familiale et chaque matin je me rendais à mon travail avec tellement de fierté d’y être arrivé. Un matin, alors que je me rendais à ma boutique, mon regard fût attiré par cette jeune fille assise devant une vitrine et qui demandait de l’argent aux passants. J’avais déjà vu ce regard quelque part. Mais oui, c’était bien elle, pas de doutes.
C’était cette petite fille qui m’avait offert son petit ours en peluche et m’avait demandé de faire bon usage de la petite pièce remise.
Je ne pouvais pas rester indifférent, elle représentait tant pour moi. C’est elle qui m’avait sauvé de la rue. Il fallait donc à mon tour lui venir en aide. Le lendemain, c’était décidé, il fallait que je lui dise qui j’étais mais elle savait, elle avait tout de suite su. Elle acceptait la main que je lui tendais. Je lui proposais de l’embaucher comme vendeuse dans mon magasin et lui offrais le petit logement au premier étage de la boutique. Elle m’était reconnaissante de cet acte mais au fond je lui devais tellement...
Alors qu’elle découvrait son nouveau logement, elle l’aperçut... Son petit ours en peluche blanc ! Il était là, il l’avait toujours attendu.
Le lendemain, au petit déjeuner nous n’échangions pas une parole, je pense qu’elle ne réalisait toujours pas ce qui lui arrivait. Je sentais qu’elle avait vraiment envie de venir travailler avec moi. Elle découvrait le plaisir du travail. Je lui apportais toute mon attention en la conseillant et en la guidant. Je voulais vraiment qu’elle se sente à l’aise. Malgré toute cette bienveillance, il lui fallut du temps pour s’adapter, s’ouvrir et enfin devenir la jeune femme qu’elle est devenue aujourd’hui.
Elle est toujours restée ma fidèle collaboratrice tout le temps où j’ai eu mon affaire. Aussi, arrivé à la fin de ma carrière, cela me paraissait comme une évidence de lui transmettre les clés de ma petite boutique afin qu’elle en devienne, elle-même la propriétaire.

Et vous ne devinerez pas la tournure qu’allait prendre cette succession ? Au fil des années, elle n’avait jamais oublié notre rencontre alors que j’étais dans la rue. Ni l’importance qu’avait pu avoir son petit ours blanc qu’elle m’avait remis !
C’est pourquoi, dès qu’elle le pût, elle voulut donner un sens à notre magnifique rencontre. Symboliquement, elle transforma la boutique de prêt-à-porter en magasin de vente d’ours en peluche. Il y en avait de toutes sortes : des grands, des gros, des petits, des blancs, des beiges...Dès que vous aviez passé la porte, vous vous sentiez enveloppés de douceur et de bonheur.
Finalement, il était enfin là le bonheur !!!! Faire le bien autour de soi pour se sentir libre.