Haïti-sur-rêve

Souvenirs d’Arthur H. à Haïti

Haïti-sur-Rêve. Dans la nuit, je sors prendre l’air devant ce petit restaurant des hauteurs de Port-au-Prince où l’on mange et boit avec tous les amis poètes. Ce sont les prémices du carnaval, pile deux ans après le grand tremblement de terre. Arrive de loin, avec une lenteur impossible, une procession sonore de début du monde, un groupe hétéroclite, femmes, vieillards, adolescents, hommes, tous ayant abusé depuis de longues heures de substances variées, légales ou illicites, mais en grande quantité. Ailleurs, ils sont ailleurs. Ça se voit dans leurs yeux. Dans leur regard résonne une autre dimension. C’est aussi la dimension artistique, celle où l’on se régénère, celle où le peuple haïtien devient un peuple créateur. Ils passent devant moi au ralenti, m’entourent, puis m’abandonnent. La musique est aussi douce que sauvage, aussi simple que sophistiquée, elle n’a jamais commencé et ne finira jamais. C’est un des plus beaux moments musicaux de ma vie. Deuxième souvenir. Le dernier texte de notre spectacle, l’Or noir, est un récit d’Édouard Glissant : tard dans la nuit, dans un petit hôtel de Marie-Galante, trois amis conversent sur l’amour et les motocyclettes (« La plus belle image de l’amour, c’est quand une femme et un homme vont pour démarrer sur une motocyclette »). En sortant de scène, un homme se précipite vers moi et me prend dans ses bras, c’est Ernest Pépin, le poète guadeloupéen : « Arthur ! J’étais là ce soir-là, avec Édouard et Mano ! C’est exactement ce qui s’est passé, ce que Mano a dit ! » Réel, littérature, imagination, poésie, rêve, magie, souvenirs, présent, quand tout se mélange pour ne former qu’une seule réalité. Et quand les témoins de ce miracle sont les étonnants voyageurs !