Gary Victor, "Les Cloches de la Brésilienne" (2006)

Les cloches de La Brésilienne de Gary Victor, roman paru chez Vents d’ailleurs en 2006.

Si l’inspecteur Dieuswalwe Azémar débarque à La Brésilienne, ce n’est pas de gaieté de cœur. On l’a envoyé là-bas régler un problème improbable : quelqu’un aurait volé le son des cloches. Et ça ne saurait tomber plus mal car la fête patronale est imminente et cette fête sans les cloches sonnant à toute volée, c’est tout simplement impensable. Azémar a été dépêché dans ce trou de campagne pour résoudre l’énigme, il s’y attelle donc. Azémar serait en fait une sorte d’inspecteur Columbo à la tenue encore plus négligée, porteur jour et nuit de lunettes noires car il faut toujours avoir l’air de ce qu’on est réellement, extrêmement porté sur le rhum mais se servant de ce breuvage pour s’éclaircir les idées qu’il a fort embrouillées en période sobre. Gary Victor ne nous avait pas préparés à la réception d’un polar tropical, mais le coup d’essai sonne juste, infiniment mieux, faut-il le dire, que ces cloches désespérément muettes.
N’allez pas chercher dans ce roman truculent une piste quelconque : « Comme tout Haïtien, ce dernier ne faisait aucun cas de la logique la plus élémentaire »… laissez-vous mener par cet inspecteur têtu et fouineur qui veut comprendre. Il va se heurter dans sa quête à bien des méchants qui souhaitent le trucider ou, au moins, lui faire assez peur pour qu’il rentre à la ville… là-bas, loin… mais non. Azémar Dieuswalwe s’accroche et pénètre dans le mystère. Lefenec, un prêtre à l’odeur forte et à la bretonnitude affirmée, portant ensemble soutane et Beretta 7,65 avec une même assurance, va l’aider. Enfin… rien n’est moins sûr ! L’affaire prend rapidement un sale tour politique et Azémar se retrouve en plein règlement de compte entre les notables du coin. Il y aura, inévitablement, une Dominicaine dans cette histoire, elle s’appellera Mireya. Depuis la Niña Estrellita de L’espace d’un cillement d’Alexis, le personnage de la gentille prostituée dominicaine est devenu un standard dans le roman haïtien. Mais un petit réconfort ne se refuse pas, d’autant que la situation se complique du fait des agissements insaisissables d’un certain Al Quaida, un fou, disent les uns… mais dans une histoire de fous, c’est normal qu’il y ait un premier rôle ! « Quand on est dans la déraison, il vaut mieux y aller franchement, sans fausse honte » (p.45) et sur ce point au moins, on va pouvoir compter sur Al Quaida !
Les histoires d’amour –les vraies, celles qui comptent, qui laissent des traces- viendront peu à peu embrouiller l’intrigue, oblitérer jusqu’à l’ombre de la quête ; les psaumes beuglés par les pasteurs états-uniens au rôle plus que louche dans cet endroit paumé iront rebondir contre des hymnes jaillis des hounforts vodous ; des scènes d’amour atteindront la lévitation bien au-dessus d’un mapou pourtant géant ; toute la clef de cette histoire labyrinthique tiendrait-elle dans le chant d’un ortolan ?
Une petite fille agile s’enfuit une fois de plus vers le haut des mornes avec une calebasse bien serrée entre ses mains.
Il est temps pour l’inspecteur d’avaler un long trait de tranpe, un truc à vous arracher la gorge mais un bon carburant pour les méninges. Les petites filles charrient de lourds secrets. Il est temps de jeter les lunettes noires aux orties. Et la lumière, soudain, est.

Philippe BERNARD