LES GRANDS THEMES 2012

Décentrement du regard

Le monde dans lequel nous entrons sera, est déjà, multipolaire. Nous ne sommes pas, nous ne sommes plus, le centre du monde. Est-ce vraiment une si mauvaise nouvelle ? Plus de centre – autre manière de dire que, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la terre devient ronde. Et tout, du coup, littérature, histoire, ethnologie, philosophie, journalisme s’en trouve bouleversé. Exige, pour penser le monde et se penser, un décentrement du regard.

Gigantesque brassage des peuples comme jamais l’humanité n’en avait connu dans son histoire, déplacements vers les centres occidentaux, Europe, Amérique, demain –déjà ? – vers les pays que l’on dit « émergents », télescopant langues et cultures, imposant de penser le nouveau en termes de flux, flux d’images, de sons, d’informations, d’argent, de cultures, de personnes, que rien semble-t-il, ne peut plus contenir, contrôler, diriger – où la fiction trouve une urgence nouvelle : d’articuler en des récits, pour chacun, les strates multiples qui le constituent. Ce que nous disions, il y a 20 ans déjà, « littérature-monde ».

Prise de paroles directe des peuples en révolte, quand Internet, les portables, les réseaux sociaux, font circuler images, textes, témoignages là où, hier encore, les dictatures imposaient le silence, mise en cause des médias lourds débordés de partout par les réseaux sociaux, redéfinition nécessaire du métier de journaliste.

Remise en cause du regard ethnologique par les populations jusque là objet passif d’études et qui prennent la parole : l’ethnologie étude de l’autre, vraiment, ou miroir dans lequel l’Occident – et l’ethnologue – se miraient ? Et voici que l’ethnologie s’en trouve ébranlée dans ses tréfonds. Écrivains et cinéastes venus d’Océanie, d’Australie, de Nouvelle-Zélande, de Nouvelle-Calédonie seront présents à Saint-Malo. Beaux débats en perspective.

Obligation pareillement de s’interroger sur les autres manières de penser, là ou nous nous imaginions seuls détenteurs de l’universel. Ainsi, tout près de nous, l’Islam. Y a t’il une philosophie islamique ? Un autre Islam que celui qui bascule en intégrisme, et si oui, lequel ? Pourquoi, au juste, l’Islam aujourd’hui ? Nous avons invité 3 grands philosophes, qui nous proposent des lectures stimulantes. Sur l’Islam, et peut-être sur ce qui, en Occident, nous manque, pour refonder un « être ensemble » : ce qu’implique l’idée d’une dimension poétique de l’être humain, qui seule pourrait le fonder en son humanité.

Et grand tohu-bohu, enfin, dans les études historiques, quand des chercheurs proposent une vision qui ne réduirait pas l’histoire du monde à celle de regard occidental. « World history », « histoires connectées », « histoire globale » : qu’importe ces qualificatifs, c’est d’un décentrement du regard, là aussi, qu’il s’agit. Et la vivacité des réactions montre bien comme est sensible le point ainsi touché́.

Littérature, cinéma, philosophie, ethnologie, histoire : un même basculement, celui-là même du monde qui vient...