Colin Thubron : Prix Nicolas Bouvier 2010

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Colin Thubron est lauréat du quatrième prix Nicolas-Bouvier. Son récit, En Sibérie (Hoëbeke, 2010), a été couronné à l’unanimité du jury.

Alain Borer, Pascal Dibie, Alain Dugrand, Gilles Lapouge et Björn Larsson- avaient retenu les ouvrages suivants pour leur ultime délibération :

  • Un Voyage au Japon (Le Rouergue), Antoine Piazza
  • Un Sentiment (Fayard), Natascha Cucheval
  • De Pareils tigres (Le Sonneur), Jean-Marie Dallet
  • Ru (Liana Levi), Kim Thuy
  • Un Roman russe et drôle (Zoé), Catherine Lovey
  • Bakou, derniers jours (Le Seuil), Olivier Rolin
  • En avant, route ! (Gallimard), Alix de Saint-André
  • Jack London (Mengès), Yves Simon

Fondé à l’initiative de Michel Le Bris, d’Etonnants Voyageurs, puis d’un mécène qui tient à conserver l’anonymat, le prix Nicolas-Bouvier est doté de 5000 euros.
Depuis sa création, le prix Nicolas-Bouvier a salué en 2007 David Fauquemberg, en 2008 Blaise Hoffman et en 2009 Lieve Joris.
Son jury est composé de : Alain Borer, Pascal Dibie, Alain Dugrand, Gilles Lapouge, Björn Larsson et André Velter.

Le prix Nicolas-Bouvier a été remis au lauréat lors du festival Etonnants Voyageurs à Saint-Malo.

Contacts presse : Cécile Pleux, 01 42 22 82 48 / e-mail : cecilepleux@hoebeke.fr

Retrouvez toutes les informations sur le Prix Nicolas Bouvier


Colin Thubron, grand écrivain-voyageur

Classé parmi les 50 meilleurs écrivains anglais d’après guerre par le prestigieux Times, Colin Thubron est l’un des derniers gentlemen travellers. Pour en savoir plus sur ce grand voyageur érudit, découvrez l’article que nous lui consacrons sur notre site.


En Sibérie par les jurés du prix Nicolas Bouvier

« L’avais-je donc imaginé, ce regard vide des gens dans la rue, vingt ans plus tôt, quand personne ne semblait vous voir ? » Familier de l’empire soviétique, Colin Thubron avait publié Les Russes en 1983, un voyage épique à travers en l’URSS à l’époque de la « glaciation » brejnévienne.
Vingt ans plus tard, avec En Sibérie, Thubron dresse le portrait des êtres, des villages et des villes, des climats, des douleurs et des couleurs d’un « pays » aux plaines immenses qui demeure le socle du territoire mythique des Russes. Avec l’errance, les rencontres, Thubron entraîne son lecteur dans un continent apprécié seulement par les érudits, les chercheurs, les amateurs d’essais savants, géographes, naturalistes, ethnologues, les romanciers et les écrivains russes, ces accoucheurs de la modernité des XIXe et XXe siècles.
Thubron, c’est un privilège, offre à ses lecteurs d’aller à la rencontre des êtres d’un continent fermé, hostile au monde, au long des décennies du despotisme monarchique, des terreurs internes du léninisme et de son succédané, le terrorisme stalinien, puis des accapareurs modernes, les bureaucrates féodaux du « centre », Moscou.
Avec En Sibérie, le projet de Colin Thubron pourrait être contenu dans ces simples phrases : « Le balancier est revenu dans l’autre sens depuis un certain nombre d’années. A mesure que Moscou semble s’enfoncer plus profondément dans son adhésion à l’Ouest, la Sibérie prend place dans l’imagination slave pour représenter la Russie perdue, la citadelle de l’esprit. La mystique d’une Sibérie chaste et autonome resurgit. La Sibérie est plus russe que la Russie, ou que ce pays imaginaire que la Russie aimerait être. »
Vers l’Arctique, Krasnoïarsk, cette cité des marchands d’or qu’admirait tant Tchekhov, est devenue une métropole d’un million d’habitants, véritable chapelet d’usines-cités interdit jusqu’en 1991 au monde des étrangers. Avec Colin Thubron, on éprouve alors le goût de relire Dostoïevski, Herzen et Tolstoï.
Quand on tombe sur le mot Baïkal, nous reviennent les manuels de géographie de l’enfance, mais avec Thubron le grand lac apparaît, ses quarante kilomètres de flots violents parfois, la plus grande réserve d’eau douce de la terre depuis l’aube, vingt-cinq millions d’années. Dans son horizon, les Monts de Bargouzine, les chasseurs bouriates, chasseurs de zibelines et de cerfs. Puis les descendants de l’infini goulag…
En Sibérie, la nature comme les êtres avec les générations se sont sédimentés dans une superposition d’exilés cultivés, de décembristes de la révolution avortée de 1825, de Polonais vaincus après l’échec du soulèvement de 1863, de zeks survivants, « oubliés » du goulag. Ainsi cette vieille dame, « transportée » de Moscou vers l’enfer de Vorkouta en 1938. Elle œuvre désormais à Memorial, cette ONG qui consacre ses efforts à la survie des mémoires, aux traces tangibles de millions de disparus qu’elle n’oubliera jamais. Un océan de corps jetés à la terre commune, cette « tombe fraternelle », disent les Russes aujourd’hui.
Il faut avec Thubron, rejoindre un affluent de l’Angarie, découvrir le monastère Znamenski, ses murailles blanches coiffées de dômes turquoise dans un foisonnement de roses trémières, de champs de tournesols, parmi les tombes des décembristes submergées de marguerites.
Mais qu’était-il donc advenu de Dieu après le hiatus communiste ? N’avait-il pas beaucoup vieilli ? N’avait-il pas perdu trop d’enfants ? Dans une lente équipée vers l’Est, la frontière de Chine plus au Sud, En Sibérie entre en conversation avec les anciennes croyances, ces chardons, les « Vieux-chrétiens », les héritiers fragiles de l’ancienne orthodoxie, entendre l’éclosion des antiques cultes chamaniques, aimer les contemporains des Pazyryks et des Scytes, les Juifs du Birobidjan épuisés avant d’émigrer pour Israël, emportant dans leurs âmes les mânes des Juifs de 1934 et leur République autonome…
Au nord de Vladivostok, à mille six cents kilomètres, il est bon de parcourir la République de Sakha, aussi vaste que l’Inde, sa capitale Iakoutsk et les Yakoutes, amateurs éperdus des chevaux et de la viande de poulain.
En saluant Colin Thubron, sans conteste l’un des plus beaux écrivains voyageurs de ce temps, le prix Nicolas-Bouvier couronne un regard, une affection, un goût portés sur les autres, le monde réel, quelques visages, une scène, le sens d’ouvrir l’âme bouclée d’un espace géographique sans pareil.
Dans la lignée prestigieuse de Freya Stark et Patrick Leigh Fermor, Thubron, gentleman voyageur érudit, a le don de s’immerger dans les régions du monde. En apprenant la langue russe afin de côtoyer les âmes au plus près, celles des « petites vieilles », gardiennes des mémoires, celles des jeunes hommes prématurément usés, mais aussi d’êtres lumineux décidés à contrarier le destin des peuples « sibériens ». Thubron, maître de l’errance voyageuse, offre à ses lecteurs ce récit subtil, gorgé d’une spiritualité rare.

Les jurés du prix Nicolas-Bouvier