HAÏTI, 2010
En hommage à Georges Anglade et son épouse
morts à Port-au-Prince ce 13 janvier 2010.Je pars pour un voyage que nous ne ferons pas
Dans l’entrée ma valise humait le vent du large
En elle bien rangés linge, cadeaux et livres
Écoutaient sagement les pulsations du cœur
Qui partait vous rejoindre
Et vous nous attendiez
Comme la nappe sans un pli attend la fête
Où tinteront les verres de nos aînés rieursMais la terre a tremblé
La terre s’est ouverte, des cisailles d’acier
Ont libéré le tigre qui dormait sous la roche
Son grognement de fauve a réveillé vos peurs
En soixante secondes le temps s’est effondréDans le fracas de l’ombre
Sa ruée de malheurs
Vos maisons dévastéesEn soixante secondes
Sa huée de douleurs
Vos proches démembrésLa terre qui vous mange comme on mange la terre
Sous nos yeux sidérés des femmes et des enfants
Implorent le secours
Anéanti
On meurt à Port-au-Prince et l’on pleure à ParisPort-au-Prince, treize janvier de l’an de casse
Deux mille dix
Pétionville, Cité-Soleil, Champ-de-Mars où les tap-taps sont détruits
Delmas, nuit d’effroi, dans l’entre chien et loup
Des morts et de la vie
Quand les ondes s’emparent de la transe vaudouVotre île sous le vent promise à la déroute
Dans la baie de Jacmel où lézarde la route
D’une amitié conquise sur les terres arables
La maison du poète dévale à grand fracas
La pente du désastreEt je suis là, valise en main
De l’autre côté de la mer, dans l’incendie des dépêches
Parti pour un voyage que je ne ferai pasSous la toile, d’autres que moi fouillent déjà
Les décombres de l’info
Émmelie, où êtes-vous, Gary et Marinio ?Longues heures d’angoisse
Tellurique
Des gravats du silence nous retirons des noms
- Lolo, James et Dany, Kettly, Lyonel et Frank -
Comme des nourrissons soudain sauvés des eaux
Quand tant d’autres se noient aux portes de la terreMais nous sommes si loin
Dans le Bas-Peu de Choses de l’entraide
Par les rues dévastées de la compassion
Désarmés, incertains
Inaptes à soulager vos peines
Nous supplions les dieux de vous garder en vieNous implorons le vautour du malheur
D’interrompre son vol de colline en collineNotre mère, bogue terrestre, viens reprendre l’enfant
Jeté sans retenue sur le parvis du monde
Concède-lui le temps de la douceur humaine
Le temps de l’eau, du pain et des fruits pour chacunMère terrestre, toi qui connais la lente érosion des jours par la nuit
Ne nous bouscule pasLaisse nous rêver des séismes de la tendresse
Et fais monter le chant de mansuétude
Au plus haut de l’échelle trémièrePour que naisse l’espoir de ton ventre meurtri.
Bruno DOUCEY