"Atlantique nord"

Collection Etonnants Voyageurs
Atlantique nord

C’est quand le vent tourne à l’ouragan, force 12, que des montagnes liquides croulent sur vous en avalanche, que le chalutier craque de toutes ses membrures (et que votre estomac s’est depuis longtemps retourné comme un gant), que vous commencez à vous interroger vraiment sur le sens de l’existence : " Qu’est-ce que je fous ici ? " Surtout si vous avez pu mesurer dès le départ que c’est par erreur, tragique, que vous vous étiez imaginé le pied marin - sans même parler du sommeil impossible, des ventres de poissons à trancher, des viscères à arracher à pleines mains, le tout à l’aveuglette, à travers vos lunettes embuées de presbyte...
L’idée, pourtant, avait de quoi séduire n’importe quel naturaliste : embarquer aux Orcades avec le capitaine Jason à bord du chalutier Norlantean et pêcher dans les grands fonds au large du Groenland des poissons fantastiques - dont le plus extraordinaire, cette hideuse myxine, vieille de cinq cent dix millions d’années...
Mais c’est dans le tréfonds de soi qu’il va falloir descendre pour tenir, avec un équipage de durs à cuire pince-sans-rire passablement hallucinés qui donne à cette équipée la dimension d’une quête à la Moby Dick. Où la cocasserie n’est que la politesse des terreurs des grands fonds... Un nouveau chef-d’oeuvre du plus grand écrivain-voyageur britannique vivant.


Il a mangé les yeux d’un singe hurleur dont il a consciencieusement rapporté le crâne dans sa maison de l’Oxfordshire. Il a fumé le yopo, une poudre atomique concoctée par les Indiens Yanomamis, qui, après quelques bouffées, vous explose le cervelet. Muni d’une coquille de cricket, il a affronté le candirou, un minuscule silure. C’est prudent. Quand la bestiole s’infiltre dans votre urètre, elle déploie ses dards. A moins de rappliquer à l’hôpital le plus proche où on vous coupera le pénis, la vessie éclate. Aussi, lorsque Redmond O’Hanlon dépose devant vous un vieux caleçon écossais, on hésite. Le contenu va-t-il vous sauter dessus et vous ronger les intestins, comme ces oestres - son cauchemar - dont les larves vous vrillent la peau pendant quarante jours avant d’éclore à la surface sous la forme de longs vers frétillants ? Déplié, le caleçon laisse apparaître un bocal de formol dans lequel flotte une sorte d’anguille brunâtre parfaitement dégoûtante... L’oeil malicieux d’O’Hanlon s’illumine alors derrière ses petites lunettes rondes cerclées de métal... O’Hanlon, qui a, dans sa jeunesse, rédigé une thèse sur Conrad et Darwin, a décidé d’embarquer sur un chalutier écossais pour affronter un ouragan de force 12. Objectif : éprouver les sensations qui furent celles de l’auteur de Typhon, tout en étudiant les espèces des grands fonds au regard des thèses du père de la doctrine évolutionniste. Direction, une zone de pêche aussi magique que secrète, située au nord des îles Shetland, au large du Groenland. Rares sont les marins qui osent aller jeter leurs filets dans ces parages...
Thierry Gandillot - L’Express