Abdourahman A. Waberi, Bahia de tous les orishas, le 1er Juillet 2010

28 septembre 2010.
 

Abdourahman A. Waberi, Bahia de tous les orishas, le 1er Juillet 2010 : veille de la fête nationale

Il n’est pas de région dans le Nouveau Monde où le mot Afrique résonne avec autant de force que la baie de Salvador de Bahia. Si les mots ‘emotion’, ‘fusion’ ou ‘effusion’ ont encore un sens, c’est ici à Salvador qu’il faut venir les éprouver avec toute leur acuité. Bien sûr, les Bahianais supportent les Black Stars du Ghana juste après la Seleçao. Ils ont tout le mal du monde pour prononcer, par exemple, le nom du buteur en série ghanéen Asamoah Gyan évoluant à Rennes dans la première division du championnat français mais ce n’est pas faute d’essayer. Pour sûr, Asamoah Gyan et ses co-équipiers ont leurs sosies ou leurs fantômes qui paradent devant les barracos et les docks du Vieux Port.
Par une de ces ironies dont l’histoire a souvent le secret la présence des esprits, des peuples et des totems africains est plus prégnante à Salvador de Bahia aujourd’hui - la fameuse Sao Salvador de Bahia de Todos Os Santos, telle est son nom officielle puisque les Brésiliens ne lésinent pas sur les noms à rallonge - qu’à Luanda ou à Cotonou où les esprits vivent réclus dans les arrières-cours poussièrieuses ou au fond de la brousse angolaise et béninoise (j’allais dire dahoméenne, vertige historique oblige !). Ici, ces esprits vivent au grand air, au milieu de tous et dans le coeur de chacun - Blanc comme Noir. Ils sont chantés à longueur de nuit et de jour par le quidam comme par les artistes lyriques telle la douce Rita Bras, les chanteurs populaires comme Aloisio Menezes dont la voix stentor résonne dans vos oreilles bien longtemps après qu’il ait fini de chanter le dernier refrain de son éloge à Shango ou Yemanja. Les rastamen dans la lignée du jeune Ras Sidney Rocha, les MCs et autres DJs tel que DJ Bronca ne sont pas en reste. Ils utilisent les mêmes mots, les mêmes métaphores et les mêmes détours que leurs collègues. C’est dire que tous les artistes entretiennent une relation filiale, charnelle et profonde avec les rites du candomblé, qu’ils affichent par des codes vestimentaires, des inflexions corporels et divers signes de reconnaissance invisibles au visiteur de passage que je suis. Tous les édifices, toutes les maisons riches ou pauvres, les terres communales, les suburbios, les mall centers, les théâtres, les blocos, les terreiros, les casas et les favelas, les rues, les ravines et les autoroutes, tout rappelle subrepticement ou ouvertement la présence des esprits partis il y a des siécles dans la nuit des cales des bateaux négriers. Et s’il me prenait l’idée incongrue, mais finalement pas si incongrue vu le contexte spirituel, de demander à la pluie (la chuva) qui tombe drue ces derniers jours sur la ville de Salvador de Bahia d’où elle tire sa vigueur ; elle me repondrait sans hésiter qu’elle est, elle aussi, bien sûr, de mèche avec les orishas. Et voilà que les divinités prennent leur revanche sur l’histoire des hommes, autrement dit sur l’infamie de la pratique esclavagiste. C’est pourquoi en ce jour encore leur voix rétentit dans la cohue des innombrables troupes de samba et de carnaval, montent depuis les casernes des bomberos (pompiers) et virevoltent au-dessus des bois sacrés encerclant la baie de Salvados et au sein duquel on a érigé des condomoniums onéreux et les gratte-ciels qui, par leur luxe insolent, tentent de nous faire croire que le Brésil n’a rien à envier aux flèches de beton de New-York, de Singapour ou de Shanghai. Et c’est ainsi que les Ghanéens, qui décousent, demain avec la rédoutable équipe uruguayenne, dormiront tranquillement ce soir sur leurs doux oreilles car le parti des divinités afro-brésiliennes leur est totalement acquis. Et bien entendu, la Seleçao n’a pas de soucis à se faire pour venir à bout des lignes de défense bataves. ‘A Tarde’, le journal bahianais, l’affirme et le confirme sur tous les tons. De cela tous les Bahianais en sont convaincus. Et ce n’est pas qui les contredirait tout impressionné que je reste encore par la ferveur religieuse qui impregnait la marée humaine occupant la grande place de Pelourinho aux pavés glissants et disjoints. C’est ainsi que S. Juan, Luis Fabiano et Robinho n’eurent pas à forcer leur talent pour défaire une équipe chilienne trop tendre et incapable de surprendre des Brésiliens trop inspirés par ce je ne sais quoi qui laisse baba le monde entier et dont les natifs de Bahia et Rio de Janeiro savent garder le couvercle dessus. Il y a des secrets qui ne se partagent pas et tout capoeiranista sait les garder enfouis au fond de son coeur.
Demain est un autre jour. Il me tarde de rejoindre mon lit en rêvant d’un monde placé enfin sous la hâche de Shango, gérant de la justice !

2 de Julho : fête nationale et jour de foot

Salvador de Bahia est historiquement la première capitale du Brésil de 1548 à 1793. De fait, elle fut un point de convergence des cultures européennes, africaines et amérindiennes, un centre important de la culture de la canne à sucre et une plaque tournante du commerce triangulaire.
Les Hollandais, dont les arrières petits-fils jouent cet après -midi contre la Seleçao qui compte dans ses rangs un Bahianais en la personne de l’incontrôlable défenseur Daniel Alves, pillèrent la ville en mai 1624. Reprise par les Portugais en avril de l’année suivante. Tous les segments de la société se révoltèrent contre les mesures imposées par le vice-roi du Portugal, elle est prise d’assaut par les troupes portugaises en 1822, pour être libérée officiellement le 2 juillet 1823. C’est l’avènement du Brésil indépendant. C’est cet événement que les Bahianais de tout âge et de toute condition viennent célébrer sous la pluie battante. Dès le petit matin une masse humaine a pris d’assaut les vieilles ruelles de Pelourinho, la partie historique de la ville, pour s’acheminer vers sa grande place. Fanfares, parades, processions, banderoles. Musiques et danses à tous les étapes et souvent tous les deux mètres. Couleurs, maillot jaune dominant. Visages peinturlurés. Rires, joies, plaisirs des sens. Alegria, alegria, alegria. On s’enlace chaudement, on s’embrasse beaucoup. On se prépare à une longue fiesta interminable. Il est dix heures du matin. Déjà ?

Abdourahman A. Waberi

 

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