Exil, exode, errance, diasporas, voyages : à l’heure d’un monde - et d’une littérature - en mouvement

17 septembre 2010.
 

Jamais l’humanité n’avait connu de si formidables mouvements de population, voulus ou contraints, qu’aujourd’hui — qu’accompagnent de fantastiques télescopages culturels : un maelström, où meurt un monde et s’engendre un nouveau. Un monde inquiétant, fascinant, dont nous ne commençons qu’à peine à discerner les contours et qui sans doute exige de nous un changement de coordonnées mentales. Le temps venu pour chacun des identités plurielles ?

Jusqu’ici nous pensions essentiellement le monde dans les catégories du stable : états/nations, territoires, frontières, opposition intérieur/extérieur, communautés, familles, identité, structures. Il se pourrait que l’époque nous oblige à partir non plus du stable mais du mouvant. Moins d’une pensée des structures que d’une pensée des flux : flux de populations, comme jamais le monde n’en connut, migrations, volontaires ou subies, flux de capitaux, flux d’images, de sons, d’informations dont nous voyons bien qu’ils traversent toutes les structures qui tentaient jusque là de les contenir, ou de les réguler. En sorte que chacun, et de plus en plus, se retrouve en demeure d’avoir à assumer des identités mouvantes, plurielles
— autrement dit d’avoir à inventer un « récit personnel » articulant en une forme cohérente cette multiplicité. On nous annonçait un monde uniformisé ? C’est tout le contraire qui semble s’annoncer : l’imaginaire individuel et collectif retrouve dans le grand tohu-bohu planétaire sa place centrale de puissance de création de communautés et/ou d’identités imaginaires.

L’imagination, et avec elle la littérature. Depuis plusieurs années nous nous attachons à vous faire découvrir les visages multiples de cette « littérature monde ». Qu’est-elle, en effet, sinon entrecroisements de voix multiples, de flux tenus ensemble dans un récit, remise en cause, dans son mouvement même, des certitudes de l’identité, forme ouverte en perpétuelle recomposition ? Rarement forme littéraire aura paru si accordée aux exigences du temps : poètes, romanciers, voyageurs, ce sont les écrivains, d’abord, qui nous donnent à voir l’inconnu du monde, quand, faisant oeuvre de son chaos, ils le mettent en forme, et du même coup, en lui donnant un visage, le rendent habitable. Et singulièrement la littérature de voyage, exploration de cet espace fluide où se déploie l’expérience de la réversibilité du dehors et du dedans, de la dépossession et de la recomposition de soi, effort obstiné de tenir le pari d’une pensée nomade.
La littérature, aujourd’hui, au coeur du monde qui vient…

Michel LE BRIS
Président de l’Association Étonnants Voyageurs