LOIZEAU Manon

France

24 mai 2017.
 

À 24 ans, Manon Loizeau s’installe à Moscou après avoir fait des stages au Nouvel Observateur et à Libération. Elle envoie alors un CV au bureau du Monde et à celui de la BBC, qui la feront travailler régulièrement. Puis, elle glisse peu à peu de l’écrit vers l’image. « Au départ je voulais faire des sujets plus culturels, sur le théâtre notamment », raconte-t-elle — héritage d’une famille franco-britannique, un père journaliste au Matin de Paris et une mère artiste.

Mais la première guerre en Tchétchénie et la maladie de Boris Eltsine l’orientent vers d’autres thématiques. Son film Grozny, chronique d’une disparition, tourné clandestinement en 2003 sera unaniment salué comme un événement, couronné par de multiples prix (Grand Prix « Reporter sans frontière » 2004, et deux prix au Festival international du grand reportage d’actualité Figra 2004).

En 2010, Manon Loizeau se tourne vers l’Iran de Mahmoud Ahmadinejad. Sa Chronique d’un Iran interdit, présenté à Saint-Malo en 2011 revient sur l’onde choc provoqué par les révolutions arabes. Interdite d’entrée dans le territoire, elle recueille de nombreuses images clandestines, et reconstitue la réalité de ce territoire interdit. En 2012, elle décide de poursuivre son enquête en Syrie, territoire lui aussi interdit aux journalistes. Grâce à la complicité d’opposants au régime de Bachar al Assad, elle s’est rendue à Homs, le centre de la révolte. Dans une atmosphère de terreur, au coeur de manifestations interdites, elle a recueilli les témoignages des victimes de la torture. assisté elle même de la répression et vécu, durant une semaine, le quotidien des déserteurs de l’armée syrienne qui organisent la résistance.

Après Chronique d’une révolution, documentaire composé de témoignages clandestins sur la répression de la révolution verte en Iran et le bouleversant Syrie Interdite, Manon Loizeau est allée en 2013 à la rencontre de la « dame de Rangoun ». Un an après son élection au Parlement birman, la journaliste esquisse un portrait subtil d’Aung San Suu Kyi l’opposante de longue date, assignée à résidence pendant 15 ans. Ensuite c’est au Yémen qu’elle se rend pour dresser le portrait d’autres femmes fortes qui se battent pour la démocratie et leurs droits et continuent ainsi ces « Printemps arabes ».

Vingt ans après sa couverture de la seconde guerre d’indépendance en Tchétchénie, Manon Loizeau revient dans cette petite république caucasienne et musulmane « pacifiée » par la terreur et mise en coupe réglée par le "dictateur" Ramzam Kadyrov, qui s’emploie à éradiquer la mémoire de la guerre comme l’histoire du pays. Le peuple, bléssé et en deuil doit jouer le jeu du pouvoir pour survivre.
La journaliste rend hommage à tous ces Tchétchènes qui ont pris d’énormes risques pour que soit brisé le silence sur une tragédie qui continue bien que la guerre soit finie.

Elle revient cette année pour nous présenter son dernier film Silent War, un documentaire bouleversant qui donne la parole aux victimes d’une guerre dont on ne parle pas, celle où le corps des femmes est devenu territoire de guerre. Un crime organisé, réfléchi car il est fondé sur l’un des tabous les mieux ancrés dans la société traditionnelle syrienne et joue sur le silence des victimes, convaincues de risquer le rejet par leur propre famille, voire une condamnation à mort. Un film exceptionnel qui lui vaut pour la deuxième fois d’être Lauréate du Prix de l’Organisation Mondiale contre la Torture.


Filmographie sélective :

 

DERNIER OUVRAGE

 
Documentaire

Tchétchénie, une guerre sans traces

- 2014

Manon Loizeau, alors correspondante à Moscou, a découvert la Tchétchénie en 1995, lors de la guerre déclenchée par Boris Eltsine contre ce petit pays du Caucase pour le punir d’avoir proclamé l’indépendance. En 1999, c’est Poutine qui, au prétexte de lutter contre le terrorisme, lançait ses blindés et ses bombes contre les Tchétchènes, ciblant combattants et civils avec une égale férocité. Vingt ans et quelque 150 000 morts plus tard, la réalisatrice retrouve un pays "pacifié" par la terreur qu’inspirent désormais les milices tchétchènes, et non plus l’armée russe. Inféodé à Moscou, le régime du président Ramzan Kadyrov s’emploie méthodiquement à éradiquer la mémoire de la guerre comme l’histoire du pays, et impose un culte de la personnalité digne de l’ère stalinienne.

Disparitions

Généreusement financé par la Russie, le jeune Ramzan Kadyrov (38 ans) a aussi spectaculairement reconstruit son pays ravagé par la guerre. Grozny, capitale rasée par les bombes il y a dix ans, a pris des allures de Dubaï, avec néons, centres commerciaux et mosquées rutilantes. Ses avenues neuves portent les noms des principaux bourreaux de la population, Poutine en tête. Mais chaque jour, des gens continuent de disparaître, victimes du pouvoir absolu d’un gouvernement qui s’arroge ouvertement le droit de torturer et de tuer. De rares voix dissidentes prennent pourtant le risque de dénoncer cette terreur d’État : une femme harcelée par le pouvoir, qui raconte comment, peu à peu, son clan est décimé dans le silence ; le Comité des mères de Tchétchénie, fondé lors de la première guerre, qui en vingt ans de combat n’a retrouvé que deux personnes vivantes sur les 18 000 portées disparues ; un couple de vieux paysans dont les deux filles, enlevées un soir à Grozny par des miliciens, n’ont jamais reparu ; le Comité contre la torture, enfin, un collectif de jeunes juristes russes qui enquête sans peur sur les disparitions et les conditions de détention, et dénonce "une petite Corée du Nord" au sein de la Fédération de Russie… Dans ce "tunnel sans lumière" décrit par Madina, présidente du Comité des mères, Manon Loizeau a pu aller à leur rencontre en se cachant et en rusant, et même suivre le procès d’un politicien respecté, Rouslan Koutaiev, accusé sans aucune vraisemblance de détention d’héroïne et jugé par un tribunal aux ordres. En réalité, sa "faute", sanctionnée par quatre années de prison, avait consisté à braver l’interdiction de commémorer le 70e anniversaire de la déportation des Tchétchènes par Staline. Un témoignage poignant, exceptionnel, sur la tragédie d’un peuple que le monde a oublié.

(Source : Arte)