DAVRICHEWY Kéthévane

17 avril 2010.
 
© Dorothée Lindon

Du conte au roman, de l’article de presse aux histoires pour enfants, du scénario à la chanson, Kéthévane Davrichewy est une artiste protéiforme. Explorant tous les genres littéraires, traversant tous les champs de l’imagination, son écriture danse entre le doux et l’amère, entre le présent et le passé.
Née à Paris en 1965, son enfance est bercée par les souvenirs de Georgie de ses grands-parents, par leur expérience de l‘exil, par la nostalgie d’un paradis perdu. C’est sans doute ce rapport à l’ailleurs, à la mélancolie, qui la porte sur les terrains de l’imaginaire et la pousse à écrire, à raconter des histoires. Après des études de lettres modernes, de cinéma et de théâtre, elle travaille comme journaliste pour différents magazines et collabore à des scénarios de films d’animation. En 1996, elle offre un recueil de contes géorgiens à l’École des loisirs, où elle publie par la suite de nombreux ouvrages pour la jeunesse. En 2004, son premier roman pour adultes, Tout ira bien, paraît aux éditions Arléa ; c’est un texte court, âpre et sans concession qui dresse le portrait sensible d’un adolescent en péril. La Mer Noire, publié en janvier 2010 chez Sabine Wespieser, est son deuxième roman. La plume délicate et maîtrisée de Kéthévane Davrichewy y trace les contours d’une fable fragile, l’histoire d’une vieille dame exilée qui, dans un demi-sommeil, se souvient des premiers pas timides de son amour de jeunesse sur les rivages de la Mer Noire…


Bibliographie :


Présentation de La Mer Noire :

spip_logoEn ce jour anniversaire de ses quatre-vingt-dix ans, la première pensée de Tamouna est pour Tamaz, son amour de jeunesse. Cet homme, qu’elle a rencontré l’été de ses quinze ans à Batoumi, et qu’elle n’a cessé d’attendre, devrait être le quarante et unième convive de la fête familiale qui se prépare.
Dans un demi-sommeil, la vieille dame se souvient de leurs amours timides et éblouies, très vite interrompues par le départ précipité pour la France, en cet automne 1921 où le nouveau gouvernement est contraint à l’exil. Le père de la jeune fille, ministre de l’agriculture d’une Géorgie dont l’indépendance a tout juste été proclamée, veut mettre sa famille à l’abri de la reprise en main par les bolcheviques. Dès que sa femme et ses filles sont installées au château de Leuville-sur-Orge, où se réfugient tous les démocrates, lui repart, dans un geste quasi désespéré pour tenter de défendre la liberté de son pays. Il ne reviendra pas, et Tamouna ne retournera jamais en Géorgie. Sa vie peu à peu se construit en France, dans la petite communauté qui vit modestement et garde vivaces les traditions de la terre natale, tentant de perpétuer un bonheur de vivre qui aurait dû être immuable. Le manque, la nostalgie et la peine, Tamouna les confie pendant son adolescence aux lettres qu’elle ne cesse d’écrire à Tamaz, sans jamais les envoyer. Tout aussi brutalement que de ses grands-parents et d’une partie de sa famille, elle a été coupée de son bel amour de jeunesse. La Géorgie, pendant toutes ces années, est restée un pays aux frontières hermétiquement closes. Et quand Tamaz finit par reparaître, il est trop tard pour reprendre le fil de leurs espoirs. Leurs vies se sont dessinées autrement. Tamouna a fait un mariage de raison, leurs retrouvailles de loin en loin auront toujours le goût des regrets.
Le présent de Tamouna, ce sont ses enfants, ses petites-filles à qui elle a enseigné les coutumes, les recettes, les chants et les danses du pays, et toute cette famille élargie formant autour d’elle une joyeuse communauté. La terre perdue, le passé douloureux, la mémoire tissée des deuils et des déchirements de l’histoire, Kéthévane Davrichewy les évoque avec une grande pudeur et une remarquable économie de moyens. Aucun pathos pour dire les heurs et malheurs de ces gens pourtant formidablement exubérants.
La longue journée anniversaire – et c’est là aussi le tour de force du roman – est comme la métaphore de la vie de Tamouna. Entourée des siens, elle a laissé ouverte la vanne des souvenirs, et peu à peu, grâce à une narration habilement tissée, l’image de la doyenne qu’elle est devenue se superpose à celle de la jeune fille exilée. L’arrivée tardive de Tamaz en éternel amoureux achève de créer le trouble.