MIANO Léonora

Cameroun / France

10 mai 2020.

Autrice incontournable de la littérature francophone, l’autrice franco-camerounaise s’est imposée au fil de ses romans et essais, parmi cette génération d’écrivains qui portent un regard sans concession sur les relations entre l’Europe et l’Afrique. Refusant les cases autant que la posture victimaire, elle défend une identité ouverte et dit elle-même se tenir « là où les mondes se rencontrent ». Prix Goncourt des lycéens pour Contours du jour qui vient en 2006, elle reçoit le prix Femina en 2013 pour La Saison de l’ombre. À travers son œuvre, elle impose sa marque, une prose âpre et sensuelle qui fait de ses romans de véritables événements littéraires. Son dernier livre propose un autre regard sur nos crises identitaires et migratoires, transposant l’action dans un état africain imaginaire prospère et autarcique où les Sinistrés de la vieille Europe sont venus trouver refuge. Dystopie pour les uns, utopie pour les autres, ce roman ne cesse d’interroger les rapports Afrique-Europe, et notre rapport à l’autre et au monde. Car selon ses propres mots : « le monde que l’on projette autour de soit, il faut le construire par l’imaginaire. »

 

Lorsqu’elle reçoit en 2006 le Goncourt des lycéens pour Contours du jour qui vient, la Camerounaise Léonora Miano est l’une des étoiles montantes de la diaspora littéraire africaine. Elle est désormais une auteure incontournable de la littérature francophone surbsaharienne. Dès son premier roman, L’Intérieur de la nuit, paru chez Plon en 2005, la romancière s’est imposée, non sans remous, parmi cette génération d’écrivains qui expriment leur révolte face aux comportements autodestructeurs qui ravagent le continent africain.

Évoquant les guerres intestines de l’Afrique subsaharienne dans une langue sombre et poétique, le premier opus de sa « Suite africaine », d’une violence terrible, lui avait valu plusieurs prix, (notamment le Prix Révélation de la Forêt des Livres 2005 et le Prix Louis-Guilloux 2006), mais aussi quelques critiques outrées. À ceux qui l’accusent alors de nourrir les préjugés sur la barbarie supposée des Africains, l’Autriche oppose sa lucidité douloureuse mais salutaire. « La barbarie des Africains n’existe pas ! La barbarie existe là où il y à l’humanité. »

Les aubes écarlates (Plon) complète en 2009 sa trilogie africaine : à travers le récit halluciné d’un enfant soldat, l’actrice convoque les fantômes de la traite négrière, dont les tourments continuent de hanter une Afrique oublieuse. Contre l’amnésie collective, Léonora Miano donne à entendre la mélopée des âmes restées sans sépulture, tout en prévenant ; « Il ne faut pas retourner au passé pour y séjourner. Ce qui m’intéresse c’est ce que nous ferons. »

Née en 1973, à Douala, au Cameroun, Léonora Miano grandit dans une famille lettrée de la petite-bourgeoisie francophone et écrit ses premiers poèmes à l’âge de huit ans. A peine adolescente, elle reçoit un véritable choc esthétique à la lecture du Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire, qui reste à ce jour un de ses livres de chevet.

Dans la foulée de sa découverte de Césaire, Léonora Miano dévore toute la littérature de la Caraïbe. Le roman vient à l’adolescence, mais, elle attendra longtemps avant de proposer ses textes à des éditeurs. Arrivée en France en 1991, elle étudie les Lettres Anglo-Américaines et se passionne pour les auteurs afro-américains de la « Harlem Renaissance ».

Avec Tels des astres éteints (Plon, 2008), Léonora Miano déplace le centre de sa réflexion : prenant pour toile de fond les tensions des sociétés européennes, l’auteure pose son regard sur la France noire et examine la complexité de ces « identités frontières » travaillées par la culpabilité, le besoin de reconnaissance et l’impossibilité du retour... 2008 est aussi l’année de la sortie d’un recueil de cinq nouvelles, Afropean Soul et autres nouvelles, publié dans la collection « Étonnants Classiques » des éditions Flammarion. Enfin, au printemps 2009, Léonora Miano propose une approche plus personnelle et plus douce de l’Afrique en évoquant les plaisirs de la table dans son recueil Soulfood équatoriale (Nil).

Après Blues pour Elise en 2010, Léonora Miano poursuit avec Ces âmes chagrines l’exploration intimiste du vécu des « afropéens » de France. « Du rap à la haute couture, du racisme à la corruption des élites africaines, un portrait féroce de l’époque. » Son roman « le plus français » selon l’auteure. En 2012, elle choisit le théâtre pour poursuivre son o—euvre-témoignage. Léonora Miano livre ainsi le recueil Écrits pour la parole, où elle dévoile, en l’espace de plusieurs pièces, le quotidien des femmes africaines, mal estimées en tant que femmes par les hommes, et en tant que noires par les femmes ; ou bien l’histoire de Gaston Monnerville, illustre inconnu, mais pourtant président du Sénat de 1959 à 1968 : une série de vies combatives, mais toujours freinées par les sociétés européennes.
Elle récidive la même année avec Habiter la frontière, une compilation des conférences qu’elle a données entre 2009 et 2011 ; un manifeste politique où elle enjoint aux subsahariens réconciliés avec eux-même d’accepter leur responsabilité collective et individuelle afin d’atteindre la liberté.

Elle obtient en 2013 le prix Femina, pour son roman La Saison de l’ombre, un retour vers l’Afrique sub-saharienne de sa première trilogie (Suite africaine) : cette fable poétique sombre et puissante peint l’Afrique pré-coloniale transformée par l’arrivée des Européens, du point de vue des populations bantoues et tout particulièrement des femmes, des mères, à qui l’on a arraché un enfant, un fiancé, un être aimé. Et si, selon les mots de L. Miano, qui aime regarder l’Histoire en face, ce qui préoccupe La Saison de l’ombre, « c’est de saisir le moment du basculement d’un monde à l’autre », c’est aussi l’occasion d’honorer les disparus de la traitre négrière, non sans rappeler une période sombre et toujours délicate, la part de responsabilité des Africains dans les maux dont ils continuent de subir les conséquences.

L’œuvre de Léonora Miano s’attache toujours à donner une voix à ce qui n’en a habituellement pas. Sa stratégie ? Renommer les maux, les expériences, et les injustices pour se les réapproprier : sa littérature fonctionne comme un exutoire de frustrations, elle est fondamentalement cathartique.

En 2014, elle commence à orienter sa réflexion et son écriture autour de la sexualité, masculine d’abord, avec le recueil Première fois (Mémoires d’Encrier, 2014) dans lequel elle invite 10 écrivains subsahariens et afrodescendants à raconter leur première expérience charnelle sans tabou. Avec Volcaniques en 2015, elle fait de même avec des femmes cette fois, et ouvre ainsi une réflexion sur la sexualité dans les cultures africaines et afrodescendantes.

Le corps est également une question centrale dans Crépuscule du Tourment (publié en 2016 chez Grasset) dont le deuxième volet paraît en 2017 sous le titre Héritage. Le premier opus de cette série fonctionne comme un huis-clos à cinq personnages, cinq voix dont l’une reste muette : celle de l’homme. Il est pourtant celui qui rassemble les 4 femmes, il est leur point de convergence, mais dans ce roman, ce sont les femmes, leurs corps, leurs pensées, leurs histoires qui occupent tout l’espace. Les récits sont le lieu d’aveux intimes, de tourments identitaires et de questionnements sur la condition féminine, loin d’être une chose évidente à vivre pour ces femmes. Héritage donne la parole à Amok, l’homme autour duquel gravitent toutes ces vies de femmes, de retour dans ce pays d’Afrique dont le nom est tu, après des années d’exil. Là encore, les questions identitaires, en tant qu’homme, en tant que père, en tant qu’héritier d’une histoire coloniale toujours présente sont au centre de la vie intime de ce personnage.

Rouge Impératrice explore un univers en décalage par rapport au nôtre. En signant ce roman, l’autrice se rapproche des littératures de l’imaginaire qui prennent souvent le biais du fantastique, de l’uchronie ou de la dystopie pour mieux parler de ce qui se passe à notre époque contemporaine. Sélectionné pour le prix Goncourt 2019, cet écrit s’inspire d’un état africain imaginé en proie à une crise migratoire, « envahi » par les habitants de la vieille Europe qui prend le nom de Pongo. En décalant notre regard, l’autrice aborde avec d’autant plus de justesse notre rapport à l’autre, aux frontières et au monde, interrogeant nos crises identitaires et migratoires contemporaines.


Liens

Le site internet de Léonora Miano


Bibliographie :

Romans :

La trilogie « Suite africaine » :

Nouvelles

Théâtre :

Autres :

 

DERNIER OUVRAGE

 
Romans

Rouge Impératrice

Grasset - 2019

Le lieu : Katiopa, un continent africain prospère et autarcique, presque entièrement unifié, comme de futurs Etats-Unis d’Afrique, où les Sinistrés de la vieille Europe sont venus trouver refuge.
L’époque : un peu plus d’un siècle après le nôtre.
Tout commence par une histoire d’amour entre Boya, qui enseigne à l’université, et Illunga, le chef de l’Etat.
Une histoire interdite, contre-nature, et qui menace de devenir une affaire d’Etat.
Car Boya s’est rapprochée, par ses recherches, des Fulasi, descendants d’immigrés français qui avaient quitté leur pays au cours du XXIème siècle, s’estimant envahis par les migrants. Afin de préserver leur identité européenne, certains s’étaient dirigés vers le pré carré subsaharien où l’on parlait leur langue, où ils étaient encore révérés et où ils pouvaient vivre entre eux. Mais leur descendance ne jouit plus de son pouvoir d’antan : appauvrie et dépassée, elle s’est repliée sur son identité.
Le chef de l’Etat, comme son Ministre de l’intérieur et de la défense, sont partisans d’expulser ces populations inassimilables, auxquelles Boya préconise de tendre la main.
La rouge impératrice, ayant ravi le cœur de celui qui fut un des acteurs les plus éminents de la libération, va-t-elle en plus désarmer sa main ?
Pour les « durs » du régime, il faut à tout prix séparer ce couple…


Revue de presse