VIDEO : Affaire de style, avant tout, ou de contenu ?

Ouverture par Hubert HADDAD

6 juin 2013.
 

Avec la participation au débat de : Sefi ATTA, Yahia BELASKRI, Ariane DREYFUS, Helon
HABILA, Murray BAIL, Yanick LAHENS, Jean-Marie BLAS DE ROBLES, Yann QUEFFELEC, Sami TCHAK, Gaspard-Marie JANVIER, Jean-Paul KAUFFMANN, Björn LARSSON,
Scholastique MUKASONGA, Patrick DEVILLE, Kenneth WHITE, Pinar SELEK, Diana EVANS, Holly GODDARD-JONES, Kopano MATLWA, Azouz BEGAG, Clément CALIARI, Didier DECOIN, Kim THUY, Ben FOUNTAIN, Mbarek BEYROUK, John CONNOLLY


RETROUVEZ LE TEXTE DE HUBERT HADDAD : "Affaire de style, avant tout, ou de contenu~?"

Le style, c’est le sentiment du monde
André Malraux

"L’image médiatisée d’un pays, d’un peuple, d’un continent, du monde en devenir ne s’ancre dans rien d’humain a priori : la description factuelle d’un phénomène n’apprend rien d’intime ou de déterminant sur ce dernier, à part une masse documentaire vite retournée au silence des archives. La littérature seule donne à la réalité sa dimension tout à la fois allusive, fatale, imprévisible, fabuleuse, démesurément ouverte aux interprétations. De même que la description d’une langue n’éclaire en rien l’étendue de son usage – à travers l’histoire, les mœurs, les fondements mythiques et légendaires –, l’exercice purement formel de restitution achoppe sur l’essentielle transmission au profit d’une communication d’ordre tautologique, partiel, voire cryptique.

La littérature, de conserve avec tout le champ artistique, n’est autre que la réalité qui prend conscience d’elle-même dans son activité énigmatique, symbolique et profane. L’origine du monde se situe dans le cerveau d’un poète contemplant tel tableau de Courbet ou les gouffres de la Voie lactée. Il n’y a pas d’autre lieu des lieux que la parole qui désigne. Toute la Grèce antique palpite encore dans Homère. Sans Shakespeare, qui ne connaissait que sa langue, il manquerait à quantité d’autres langues aujourd’hui cette fracture métaphorique source de transversalités et d’illuminations. Là où la science s’institue dans un nécessaire vis à vis objectal non dépourvu de présupposés de tous ordres, la littérature sort des rangs dans le beau désordre de l’urgence pour dire la vanité des pouvoirs et l’utopie toujours à réveiller des libertés les plus cinglantes.

Ce que nous apprend la littérature, par la mise en doute, la déconstruction onirique, la passion inexpiable, l’humour ou le défi, c’est que nulle part n’existe une quelconque prépotence, que les hiérarchies sont des exactions, qu’il ne faut jamais s’accorder sans querelle avec les appareils d’intimidation que sont les institutions en charge des savoirs, qu’enfin la seule évidence pour l’écrivain ou l’artiste au travail est l’absolue proximité de l’homme avec ses fragilités et ses luttes, ses incompréhensions, toute cette inconnaissance au secret de la vie, sachant que nous partageons tous l’essentiel d’une condition que signe la blessure de la langue. Nos différences les plus criantes ne sont que nuances, froissement merveilleux de la nuance : À peine un souffle d’ange sépare l’enfant illettré du plus bel érudit dans ce presque rien ou ce je-ne-sais-quoi qu’on nomme culture, dès lors que tous deux participent au qui-vive des espaces symboliques

Le roman explore le champ infini de la Nuance, cette réalité humaine que nous vivons tous immédiatement et diversement sans prendre la mesure de sa fragilité et de son impermanence, de compagnie avec la poésie qui en révèle l’état de surprise dans la langue. Dès lors, il n’y a pas d’écrivain qui tienne sans style, quelle que soit sa longueur d’onde – ample comme un déroulement de nébuleuses ou serrée jusqu’à la constriction métaphorique. Une écriture purement clinique échappe au meilleur des cas à la répétition par la scansion et le rythme. La forme d’une langue, l’écrivain la déforme à son gré et la transfigure par ce tour de kaléidoscope qui change à tout moment les accords et les combinaisons, dans un élan continu et sur fond de promesse, en imposant l’unité de l’esprit à la divagation insondable des phénomènes.

De même que la composition emporte la représentation de manière eurythmique chez un Pierro della Francesca ou chez un Cézanne, il y a dans l’objet romanesque une structure vivante, une énergie conceptrice qui ressort des enjeux mêmes de l’écriture. Ce n’est pas le choix de ce qu’il veut dire qui fait l’écrivain, suggérait Sartre, mais celui de le dire d’une certaine façon : « Chaque phrase contient le langage tout entier et renvoie à tout l’univers. » La stratégie aiguë du style convoque ainsi pour un battement de cils ou un siècle d’enchantement tous les savoirs acquis dans l’inquiétude légitime de leur pérennité et à travers l’investigation flottante des territoires inexplorés de la sensibilité. Flaubert, qui rêvait de faire un livre sur rien, lequel « se tiendrait lui-même par la force interne de son style », avait pour le dire des sublimités : « le style étant à lui seul une manière absolue de voir les choses. »

Rien par ailleurs n’est plus étranger au français classique, verrouillé par d’illustres courtisans à des fins de conquête nationale, que presque tout ce qui constitue les fortunes de la langue. Le style ne saurait se réduire à la vitrine d’un orfèvre, ni aux normes d’une clarté élocutoire – il est élan natif et structurant, circulation dérobée entre sensation, intuition et concept, va-et-vient du lexique aux vertiges de la syntaxe, une façon unique de se mouvoir dans la langue à des fins d’interception, de saisie inouïe du sens. En cela, il n’y a pas d’autre contenu que ce que l’intensité singulière des impulsions et trajectoires du langage dans un corps, un esprit et une mémoire convoite à tel moment, dans telle problématique vécue, vers un objectif qui d’emblée fait partie du geste d’écrire, de sa précipitation ou de ses errements, de sa tétanie ravageuse ou des foudroiements d’une parole aux échos multiples qui la porte de cime en cime, bondissante comme le discours d’Empédocle.

Question non de technique mais de vision, disait Proust, le style « est la révélation de la différence qualitative qu’il y a dans la façon dont nous apparaît le monde. » Cette vision, on le conçoit, traverse les lointains de l’œuvre dans le présent inquiet de l’acte d’écrire, et c’est une dialectique créatrice, une Weltanschauung, un balancement permanent entre la forme et le fond, l’aspect et la substance, ou plutôt l’envers et l’endroit, puisque l’auteur en position spéculaire offre au lecteur un étrange miroir où, par comparaison avec les lenteurs et les repentirs de l’atelier, tout adviendra de manière entière et précipitée avec une manière de fatalité mise en branle par le mouvement de toupie ou d’éventail des pages qui défilent jusqu’à extinction des feux synaptiques. L’écriture qui lui apparaît sous des auspices plus ou moins irrésistibles, telle une peinture ou une architecture de mots, un canevas abstrait de concepts ou un déroulé de lieux communs, devient pour lui style, dès lors qu’une modification qualitative et donc émotive de son flux de conscience s’opère : quelque chose d’inédit s’insinue dans la lecture, la répétition laisse place aux cadences, l’écran neigeux de la page flambe d’images concertées et la pensée du langage s’éclaire à travers une poétique en action.

Le style c’est l’autre, oserait-on même avancer, la reconstitution par le lecteur des valeurs d’expression et de conception, nécessairement intriquées, mises en jeu dans le texte, sachant qu’il n’existe guère, dans aucune langue, un récit, une nouvelle ou un roman qui ne soit pas subrepticement poème.

La littérature ne couvre certes pas tout le champ de la chose écrite, on pourrait croire sans mal qu’elle est l’exception dans l’espace idéologique et fonctionnel du discours. Mais quand elle surgit par effraction ou longue maturation ici et là, dans le vacarme des malentendus, la distraction générale ou le silence des voix de la censure, on peut être sûr qu’un style est à l’œuvre, c’est-à-dire un projet emporté par un désir fou d’accomplissement, vers quelle perspective connue ou inconnue, dans tous les cas périlleuse – car le style est la marque d’un engagement souverain sur les territoires minés de nos représentations comme dans les contrées meubles de l’inconscient, cet infra-monde de l’imaginaire sur fond de quoi l’inventive réalité se profile, gesticule ou disparaît au gré des mille fictions.

Mais qu’est-ce que le style encore, sinon la résistance d’une langue aux forces d’attraction phatique des mots et de la grammaire. Il s’agirait pour commencer de prendre le contre-pied des inepties et approximations des catalogues de citations :
Le style est un instrument, pas une fin en soi (Norman Mailer)
C’est bien là le propos d’un ambulancier de la littérature. Si le style est un instrument, alors Proust et Rimbaud sont des chambres stériles. Non, le style n’est pas plus un ustensile que l’art serait en soi « un outil de propagande et d’éducation », il vient au contraire fausser toutes les instrumentations, il est la vie même infiniment réfléchie dans les arcanes d’une langue.

« Le style n’est pas une danse, c’est une démarche », déclare aimablement Jean Cocteau, en songeant sans doute aux défilés de mode ou aux épaules roulantes de l’ange Heurtebisse. Il le sait bien, pourtant, l’auteur de la Difficulté d’être, que le style est un grand écart permanent de l’esprit, une danse d’un million de Thésée devant le labyrinthe de l’œuvre. On pourrait le lui faire avouer sans autre torture : « Il arrive qu’une route offre des aspects tellement différents à l’aller et au retour que le promeneur qui rentre croit se perdre », lit-on dans le Grand Écart. Cette route bien sûr est d’écriture pour le lecteur égaré.
« Le style est le vêtement de la pensée », postule Sénèque dans une lettre à Lucilius. La pensée en habit n’est plus que rhétorique. Le style est l’élan, le geste, la pensée même !

« Le meilleur style est celui qui se fait oublier » déclarait ab absurdum Stendhal, assurément le moins somatique des auteurs. Avec cette idée saugrenue de recouvrir de « vernis transparent » les articles du code civil. Mais dirait-on seulement que la meilleure poésie ou la meilleure musique, est celle qui se laisse oublier ? Sans style, sans singularité assumée jusqu’au juste paroxysme, sans cette contrainte d’éveil qui soutient l’instant sur l’aile des anges obséquieux, il n’y aurait plus d’un côté que l’abbé Delille et l’horloge municipale de l’autre. C’est justement le comble du style stendhalien que de se faire oublier, sa stratégie dramatique inimitable.

« Et le style, bien sûr, fait la valeur de la prose. Mais il doit passer inaperçu » prétend en vague disciple beylien Jean-Paul Sartre dans ses Situations. « Puisque les mots sont transparents, ajoute-t-il en filant la métaphore, et que le regard les traverse, il serait absurde de glisser parmi eux des vitres dépolies. » Encore ce préjugé de bricolage. « Dans la prose, le plaisir esthétique n’est pur que s’il vient par-dessus le marché », conclura-t-il. Par-dessus le marché ? Mais c’est le rabiot après le tope-là chez les marchands de bestiaux !

« La langue est donc en deçà de la Littérature. Le style est presque au-delà : des images, un débit, un lexique naissent du corps et du passé de l’écrivain et deviennent peu à peu les automatismes mêmes de son art. » Cette fois nous reconnaissons le beau phrasé de Roland Barthes, sans pouvoir une seconde le suivre. Tout, dans l’appel exclusif et mortel à la liberté d’être autre, chez Rimbaud, Marina Tsvetaieva ou Antonin Artaud, serait-il abandon à quelque intime formalisme, préalable au bûcher délibéré de l’esprit ?
L’auteur du Degré zéro de l’écriture persévère : « (…) ainsi sous le nom de style, se forme un langage autarcique qui ne plonge que dans la mythologie personnelle et secrète de l’auteur, dans cette hypophysique de la parole, où se forme le premier couple des mots et des choses, où s’installent une fois pour toutes les grands thèmes verbaux de son existence. »

Avec Barthes et tout un soviet de moniteurs des lettres, l’irruption d’une pensée archéo-sémiotique dans les champs de bataille de l’art aura eu cela d’étrange, qu’au moment où l’on émancipait, à juste titre, la dimension symbolique de la fatalité génésique, de l’innéisme et des vieilleries essentialistes, l’Université s’arrangeait pour mettre sous tutelle son objet d’études, la littérature, et cela au moyen de raccourcis déterministes relevant presque des torpeurs de la sociobiologie. Je cite en vrac : « (…) le style a toujours quelque chose de brut : il est une forme sans destination, il est le produit d’une poussée, non d’une intention (…). Ses références sont au niveau d’une biologie ou d’un passé, non d’une Histoire (…) il n’est nullement le produit d’un choix, d’une réflexion sur la Littérature. (…) Il est la voix décorative d’une chair inconnue et secrète (…) Le style est proprement un phénomène d’ordre germinatif, il est la transmutation d’une Humeur. »
L’air de rien, au degré zéro, voilà une réconciliation allègre avec un certain physiologisme littéraire auquel s’adonnait, après Taine ou Balzac, l’excellent Paul Valéry qui concevait volontiers « l’activité et les produits de ce qu’on nomme “esprit” comme activité et produits d’un système organique. » Mais comprendrons-nous jamais ce que le néant laisse de liberté dans les interstices harmoniques du langage ? Que l’écriture contienne « l’être et le paraître du pouvoir » nous nous en doutions, mais cela dans les espaces doctrinaux, par privilège, en termes d’époque, de règne, de position sociale, d’élitisme barbare, de profond sommeil. Mais le style est ailleurs. Et tout reste à inventer dans la réalité ! Plus précoce que la foudre, un gosse déboussolé nous avait avertis de longue date : « Cette langue sera de l’âme pour l’âme (…), de la pensée accrochant à la pensée, et tirant. »

Ce qui non loin fait dire à Léon Paul Fargue, maître des délectables boiteries intérieures : « Une phrase parfaite est au point culminant de la plus grande expérience vitale. » Et à Victor Hugo, le contemporain perpétuel : « Les vrais grands écrivains sont ceux dont la pensée occupe tous les recoins de leur style. » On pourrait bien conclure avec une fée de grimoire, l’évanescente Emily Dickinson, qui, en travers de la langue, en travers de tous les jargons d’autorité, a balbutié la seule vérité. Qu’est-ce, au fond, que le style ?

Un je-ne-sais-quoi par un Jour d’été —
Quand lentement brûlent ses flambeaux

Hubert Haddad

 

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Poésie

Les vents de Vancouver

Le Mot et le Reste - 2014

Dans les territoires du Pacifique Nord, un itinéraire jalonné de visions d’une nature première, de traces de très anciennes cultures et de personnages jusqu’auboutistes.
Prenant pour point de départ le grand port du Pacifique Nord, Kenneth White trace un itinéraire qui longe le littoral de la Colombie-Britannique avant d’atteindre la péninsule de l’Alaska, en passant par Ketchikan, havre bordélique de saumoniers, Juneau, la capitale des affaires, et Skagway, longtemps le fief de l’escroc Soapy Smith. En route, dans le style vif et allègre qu’on lui connaît, il esquisse des portraits de coureurs de bois français, d’explorateurs russes, de chercheurs d’or américains, d’environnementalistes tels que l’Écossais John Muir, tous suivant des pistes d’ombres et de lumières sur fond de vie sauvage, celles des ours et des aigles, des loups et des phoques, et de vie autochtone, celle des Kwakiutls et des Tlingits. Le résultat est un « texte pluridimensionnel qui fait voisiner le contexte primordial et la condition moderne. Les livres de voyage de Kenneth White sont des navigations mentales, des initiations à des états-limites de l’existence et de la conscience. Cet ouvrage inédit en est un exemple éminent et frappant.

 

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Romans

L’Oiseau Parker dans la nuit et autres nouvelles

Sabine Wespieser Éditeur - 2019

Tout comme L’Oiseau Parker dans la nuit – une saisissante histoire d’amour, d’impossible et de musique, adaptée pour RFI par la comédienne Mireille Perrier, qui l’a lue au festival d’Avignon en 2015 –, les nouvelles de ce recueil racontent la vie quotidienne en Haïti, les tragédies, les violences (urbaines ou rurales), les croyances séculaires, les femmes courageuses et les hommes endurants de cette île-monde que Yanick Lahens ne cesse de mettre en scène dans son œuvre.
Ce volume est composé des trois recueils parus à ce jour, essentiellement en Haïti, et indisponibles en France : Tante Résia et les Dieux (L’Harmattan, 1994) ; La Petite Corruption (Éditions Mémoire, 1999 ; Legs édition, 2014) ; La folie était venue avec la pluie (Presses nationales d’Haïti, 2006 ; Legs édition, 2015).
Ces textes, présentés ici dans l’ordre de leur publication, apparaissent comme la genèse de l’œuvre romanesque à venir – certaines nouvelles, à l’image de Bain de lune, ont du reste été la matrice de futurs romans. Leur écriture était déjà le témoignage de l’acuité, mais aussi de la tendresse, avec lesquelles l’auteure scrute la société où elle vit. Devenue une grande voix de la littérature de son pays, Yanick Lahens y annonçait, par la netteté de son style, par la force d’émotion et le souffle poétique qui s’y déploient, la puissance et l’importance de l’œuvre en cours.

 

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Autres

Dictionnaire amoureux de la mer

Plon - 2018

« Nous, la mer,

Ce livre dit la mer, il dit l’aimer, l’avoir toujours aimée : il ne dit pas toute la mer, vaine ambition d’un zozo. Même la grenouille y regarderait à deux fois. Ce livre dit le vieil homme et la mer, la femme et la mer, une lutte contre soi, contre ses rêves, une quête à la vie à la mort de l’horizon ni près ni loin, une osmose avec les éléments dont l’être humain fait partie - s’il n’est ici-bas le maître du jeu. Ce livre dit la mer et les marins, les écrivains, les travailleurs du grand métier, les artistes charmés, charmeurs, les damnés du poisson. Il dialogue avec l’univers par-dessus les jours et les flots. C’est un coquillage où l’on entend, j’espère, battre le pouls du verbe aimer. Ce livre raconte une histoire océanique, la mienne, il ne prétend jamais connaître la mer ni la réduire à ses cadenas, ses tics, l’exhiber à travers les mots comme une bestiole de foire. J’aime la mer et je m’en souviens, j’y vais, je vous emmène avec moi. J’en suis natif comme tous les êtres vivants de terre et d’eau, je vous fais part de cet amour plus vaste que ma voix, plus humble que mes songes.
Un voyage, oui, autour du monde intérieur que je m’efforce d’encercler quand je prends la mer ou mon stylo. Quand je perds la raison à la barre d’un voilier qui ne réagit plus au vérin du « pilote », et perd la raison lui aussi. Quand une île heureuse vient à moi, donnée comme un livre de vie. Quand c’est crado, les ports, les grèves, les abysses, les gens du fric, quand elle gâche tout, la pollution, quand il étouffe, le corail d’Australie, des Antilles – ou qu’il renaît, squelette radieux. Quand il n’y a plus rien à dire tellement c’est beau, la mer, infiniment beau, et que l’on n’est pas seul au bord de cet infini. Aimer la mer, c’est au minimum être deux, être tous. Aimer la mer c’est « être » - c’est vivre. »

Yann Queffélec

 

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Romans

Je suis seul

Elyzad Éditions - 2018

Je suis seul, dit le narrateur caché de tous, alors que sa ville située aux portes du désert est tombée aux mains de djihadistes. Au fil de son soliloque haletant se déroule la mécanique inexorable des évènements qui l’ont mené à se retrancher dans cette chambre étroite. Il se trouve prisonnier, prisonnier de sa peur, des amours qu’il a piétinées, du malheur des siens, des corruptions et des sinistres combattants qui paradent dans la rue. L’histoire de sa vie, de la pauvreté nomade aux succès mondains, porte en son cœur le germe de la perte. Seule Nezha, son ancienne bien-aimée, aurait le pouvoir de le sauver. Mais le veut-elle ? 

Un roman choc au Sahara. Une voix qui porte jusqu’à nous.

 

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Littérature jeunesse

Kibogo est monté au ciel

Gallimard - 2020

Il s’agit là d’un roman plein de péripéties, situé en terre d’Afrique, dans l’ancien Ruanda, à l’époque où les pères missionnaires ont implanté la foi chrétienne dans des populations jusqu’alors adonnées aux pratiques païennes.Le roman est divisé en trois parties : « Ruzagayura », un nom qui désigne la grande famine ; « Akayézu », ainsi nommé par un père avisé, entré au grand séminaire et qui en sera chassé par les religieux en raison de sa conduite extravagante (il s’agit en fait de soins qu’il a donnés à une enfant, la sauvant ainsi de la mort, ce que les villageois éberlués interprètent comme une résurrection et les pères, outrés, comme un sacrilège). La légende veut qu’Akayézu, qui un jour disparaît, ait été enlevé, comme Kibogo avant lui (ou comme le Christ et la Vierge, Enoch et Elie), du haut d’une montagne au milieu d’un nuage. La troisième partie est intitulée « Kibogo » et forme une unité avec les deux autres.Kibogo est l’un de ces Abatabazi, ou « Sauveurs », en général un prince ou un haut personnage, qui, pendant les guerres et les périodes de calamités, telles les famines, se sacrifiaient à la demande des devins de la cour royale pour « sauver » le Ruanda - un mythe bien implanté dans la tradition ruandaise. L’histoire prend forme dans les esprits, mêlant les deux personnages mythiques, Akayézu et Kibogo ; elle est fermement condamnée par les « padri », qui voient là l’inspiration de Satan. Mais les conteurs de la nuit n’en colportent pas moins les mots enchantés et les péripéties extraordinaires. Ce syncrétisme, nous dit l’auteur, constituait une forme de résistance à l’acculturation du peuple par les missionnaires lors de la colonisation.Le récit de Mukasonga est vivant, plein d’humour et de fraîcheur, il se lit bien. La critique de l’action missionnaire n’est jamais directe ni lourde, elle passe par le rire (l’auteur, très consciente de sa méthode, explique que, à son sens, le tragique inclut le rire). Certes, il s’agit de légendes africaines et leur exotisme pourrait nous éloigner des événements racontés ou des personnages. Or il n’en est rien. Des parallèles apparaissent constamment entre l’histoire chrétienne – ici racontée et déformée de façon comique par les gens du lieu – et les légendes ruandaises encore si vivaces. Ainsi, qui est vraiment monté au ciel, de Kibogo, le fils de roi, ou du Yézu des missionnaires ? Tels qu’ils sont ménagés, ces rapprochements ne manquent pas de saveur.

 

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Romans

Le choix de Martin Brenner

Grasset - 2020

À la mort de sa mère Maria, Martin Brenner ressent certes de la douleur mais s’interroge aussi : il ne s’est jamais vraiment senti très proche d’elle. Il procède à la dispersion des cendres en suivant ses dernières volontés, met sa maison en vente, puis il compte reprendre le cours de sa vie, entouré par son épouse Cristina et sa fille Sara. Brenner est généticien et directeur d’un laboratoire, un homme discret et plutôt solitaire. Il s’estime heureux dans la vie.

Mais lorsqu’un avocat l’appelle pour lui annoncer que sa mère était juive et survivante des camps, sa vie prend un tournant imprévu. Petit à petit, les révélations contenues dans une lettre laissée par sa mère et les informations que lui fournissent l’avocat et le rabbin de la ville où il habite le poussent à faire des recherches sur l’identité juive. Il croise ses lectures personnelles sur le sujet avec les recherches en génétique qu’il mène – touchant à la question de l’appartenance religieuse et ethnique, vue par la science. Il décide de n’en parler à personne – pas même à son épouse – avant de parvenir à une décision quant à sa judéité : il refuse l’idée qu’il doive assumer le fait d’être juif seulement parce que sa mère l’avait été. Mais lors d’un colloque scientifique à Montréal, il est pris à parti dans un débat et alors qu’on l’accuse d’antisémitisme, il révèle sa judéité… Le piège s’est renfermé sur lui, et le château de cartes qu’était devenu sa vie s’effondre : sa femme Cristina, ignorant tout de sa réflexion, se sent trahie, puis quand lui et sa fille deviennent la cible d’ignobles attaques antisémites, son épouse le quitte. Il perd son travail, son meilleur ami se détourne de lui, seul le rabbin Golder maintient le contact. Il fait alors appel à un écrivain célèbre et lui demande de raconter son histoire…

Le choix de Martin Brenner nous fait vivre de l’intérieur la descente aux enfers d’un homme aux prises avec la question identitaire. Le roman nous propose ainsi une interrogation sur le libre-arbitre. Comment savoir qui nous voulons être dans notre vie intime et aux yeux de la société ? Comment rester libre dans ce choix ?

Traduit du suédois par Hélène Hervieu

 

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Revue

Apulée n° 9 - Art et politique

Zulma - 2024

L’art n’a-t-il pas toujours été politique en soi, qu’il l’affiche ou s’en défende ? Telle est la ligne de front d’Apulée #9, qui s’engage depuis le premier numéro dans les brèches et par-delà toutes les frontières de ce début de XXIe siècle.

De l’architecture comme métaphore du pouvoir à la reconnaissance poli- tique des peuples sans État via leur culture et patrimoine artistiques (les Inuit, les Tsiganes, les Berbères et autres nomades du sens), du pillage ou de la destruction en temps de guerre et de colonisation (de l’Acropole d’Athènes à Palmyre, en passant par l’Afrique) à l’universalisme de l’altérité, ce nouvel opus d’Apulée assume toutes les fulgurations et parie sur la voix et les gestes éminemment engagés d’artistes, écrivains, poètes et intellectuels qui portent, encore et toujours, l’idée de liberté, par-delà les identités fracassées sous les chocs de l’Histoire…

Chaudron des allégories et des résistances, critique inventive des mœurs, lien social, pratiques et voix émancipatrices et subversives, utopie en actes : ce nouvel opus s’attache cette fois encore à l’Humain – sans œuvres ni parole confisquées, à l’opposé de la « société du spectacle » – contre la pulsion de mort commune à toutes les politiques du pire. Et comme Apulée l’a toujours défendu !

 

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Revue

Apulée n° 9 - Art et politique

Zulma - 2024

L’art n’a-t-il pas toujours été politique en soi, qu’il l’affiche ou s’en défende ? Telle est la ligne de front d’Apulée #9, qui s’engage depuis le premier numéro dans les brèches et par-delà toutes les frontières de ce début de XXIe siècle.

De l’architecture comme métaphore du pouvoir à la reconnaissance poli- tique des peuples sans État via leur culture et patrimoine artistiques (les Inuit, les Tsiganes, les Berbères et autres nomades du sens), du pillage ou de la destruction en temps de guerre et de colonisation (de l’Acropole d’Athènes à Palmyre, en passant par l’Afrique) à l’universalisme de l’altérité, ce nouvel opus d’Apulée assume toutes les fulgurations et parie sur la voix et les gestes éminemment engagés d’artistes, écrivains, poètes et intellectuels qui portent, encore et toujours, l’idée de liberté, par-delà les identités fracassées sous les chocs de l’Histoire…

Chaudron des allégories et des résistances, critique inventive des mœurs, lien social, pratiques et voix émancipatrices et subversives, utopie en actes : ce nouvel opus s’attache cette fois encore à l’Humain – sans œuvres ni parole confisquées, à l’opposé de la « société du spectacle » – contre la pulsion de mort commune à toutes les politiques du pire. Et comme Apulée l’a toujours défendu !

 

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Dictionnaire amoureux des Faits divers

Pion - 2014

Les faits divers imprègnent, irriguent notre monde. Ils prolifèrent partout, depuis Aokigahara que les Japonais appellent la forêt de la mort, jusqu’à l’ancien Belleville du temps des apaches, dans les forêts profondes de la Papouasie jusqu’aux plus hautes terrasses de New York. Ils sont de la ville et de la campagne, ils sont de tous les temps. Ils concernent tout le genre humain, des plus misérables aux plus opulents, du brutal assassin, comme le curé d’Uruffe, aux saints moines de Tibérine. Ils touchent même les petites bêtes, comme en témoigne cet ahurissant procès intenté contre des… hannetons ! Les faits divers de cet ouvrage sont les pièces de la collection personnelle de l’auteur, ceux qui, depuis son enfance, le fascinent ou l’émeuvent, comme l’histoire de cette jeune noyée repêchée dans la Seine et devenue « la femme la plus embrassée du monde ». Les faits divers ont le mérite, au-delà du sang et des larmes, d’avoir inspiré des créateurs de tous les domaines. Que serait la littérature si, d’Emma Bovary aux héros morbides de Truman Capote, elle ne s’était nourrie de personnages monstrueux et prodigieux, mais issus du réel ? Que serait l’opéra si Lucie de Lamermoor et Carmen n’étaient pas nées de faits divers ? Et le cinéma ! Et la presse, et le journalisme qui doivent la vie, au sens propre, à la bonne fortune du fait divers !


Didier Decoin parle de son ouvrage.

 

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Romans

Em

Liana Levi - 2021

Au Vietnam, le mot em sert à dire sa tendresse, sa délicate attention pour l’autre, plus jeune ou plus âgé. Dans un square de Saigon, sous un banc, un bébé a été abandonné. Louis, orphelin métis, de quelques années son aîné, le couche dans une grande boîte en carton. Il l’appelle Em Hong, « petite sœur » Hong. Louis prendra soin d’elle jusqu’à ce qu’ils soient séparés, lors de l’opération Babylift, au printemps 1975, qui évacue peu avant la chute de la ville les orphelins de guerre et enfants nés de GI’s. Sans le savoir, ils auront des vies parallèles, celles d’enfants américains adoptés. Ils ignorent ce que leur existence doit à la multitude de destins brutalisés avant eux dans le long conflit vietnamien. Em, c’est le fil qui relie les ouvriers des plantations de caoutchouc en Indochine aux femmes des premiers salons de manucure en Amérique du Nord. Ce sont les liens d’amour et de haine entre les vies brisées de la « guerre américaine ».

Dans ce roman, Kim Thúy noue des histoires vraies, pleines d’images fortes, méconnues ou aussi célèbres que la photo prise à My Lai. Sa prose lyrique et sobre nous embarque dans une traversée bouleversante de l’Histoire.

 

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Romans

Le continent du Tout et du presque Rien

JC Lattès - 2021

Maurice Boyer, issu d’un modeste milieu rural français, arrive à Paris pour entamer des études d’ethnologie à la Sorbonne. Il rêve de mettre ses pas dans ceux de son maître, Georges Balandier. Il part pour ses recherches doctorales dans un village du Togo. Il y restera deux ans. Ce sera le grand choc de sa vie. Des années après ce voyage, il sait ce qu’il doit à ce séjour et qu’il a laissé là-bas la part la plus secrète de son âme.
C’est le roman d’une rencontre, d’une quête : comment regarde-t-on l’autre, comment l’invente-t-on, comme écrit-on son histoire ?


 

DERNIER OUVRAGE

 
Revue

Apulée n° 9 - Art et politique

Zulma - 2024

L’art n’a-t-il pas toujours été politique en soi, qu’il l’affiche ou s’en défende ? Telle est la ligne de front d’Apulée #9, qui s’engage depuis le premier numéro dans les brèches et par-delà toutes les frontières de ce début de XXIe siècle.

De l’architecture comme métaphore du pouvoir à la reconnaissance poli- tique des peuples sans État via leur culture et patrimoine artistiques (les Inuit, les Tsiganes, les Berbères et autres nomades du sens), du pillage ou de la destruction en temps de guerre et de colonisation (de l’Acropole d’Athènes à Palmyre, en passant par l’Afrique) à l’universalisme de l’altérité, ce nouvel opus d’Apulée assume toutes les fulgurations et parie sur la voix et les gestes éminemment engagés d’artistes, écrivains, poètes et intellectuels qui portent, encore et toujours, l’idée de liberté, par-delà les identités fracassées sous les chocs de l’Histoire…

Chaudron des allégories et des résistances, critique inventive des mœurs, lien social, pratiques et voix émancipatrices et subversives, utopie en actes : ce nouvel opus s’attache cette fois encore à l’Humain – sans œuvres ni parole confisquées, à l’opposé de la « société du spectacle » – contre la pulsion de mort commune à toutes les politiques du pire. Et comme Apulée l’a toujours défendu !