Texte de Michel Déon

20 juin 2006.
 

Tantôt par d’agréables hasards, tantôt par une volonté que dictait l’impérieux désir de voir de mes yeux ce que j’avais lu dans mes chers auteurs, j’ai en fin de compte plus vécu à l’étranger qu’en France. L’Europe a été mon domaine avant que des économistes en aient une idée qui reste bien abstraite. Ces séjours à l’étranger ont nourri mes livres, les nourrissent encore, mais si je remonte un peu loin, même très loin - les années 20 - c’est en Bretagne que j’ai vu s’ouvrir les portes de l’aventure. De Vannes où je passais l’été, nous avions des pélerinages obligatoires : Quiberon où les royalistes s’étaient si méchamment fait battre, Auray pour une prière au Champ des Martyrs et une excursion plus lointaine jusqu’à Saint-Malo pour un double hommage à Chateaubriand et à Surcouf. Mon père vénérait les deux. Il essayait de me lire de belles envolées que je ne comprenais pas toujours, mais la musique m’en est restée et je ne l’ai guère délaissée pendant soixante-dix années qui me séparent de l’enfance. Pour Surcouf, on se contentait de me raconter ses exploits et de m’acheter un béret de marin avec son nom en lettres d’or, mais j’ai compris pour toujours qu’un homme seul doué de génie est plus grand qu’une nation. Saint-Malo était devenu un mythe. J’ai rêvé d’être corsaire. Les temps modernes, à mon regret, ne l’ont pas permis. A la nouvelle que l’aviation alliée avait écrasé la citadelle de toutes les aventures sur mer, j’avais juré de garder intact mon souvenir. Il a fallu le festival des Etonnants Voyageurs pour que j’ose y retourner. Tout avait retrouvé son orgueilleuse splendeur et quand France 3 a réalisé mon portrait dans la série des Ecrivains du XXe siècle, j’ai demandé que les premières images fussent prises à bord du ferry de Saint-Malo à Cork. Pour me remercier, le crépuscule a été rose et bleu, la mer d’une rare douceur entre les balises et la citadelle s’est fondue dans la nuit avec tous ses rêves de grandeur.

Michel Déon
de l’Académie française