Coup de cœur Télérama : Abdourahman A. Waberi (Djibouti)

Des "historiettes" politico-poétiques
Abdourahman Waberi © Mélani Le Bris

« Je suis écrivain. Nègre accessoirement. » Abdourahman A. Waberi carbure à l’ironie. Timbre clair et rieur, il nous interroge :« Demanderait-on à un écrivain français ou américain de justifier sa nationalité, d’expliquer comment il vit ce paradoxe, être écrivain et être américain ? » Toujours plus fort : « J’ai même envie de vous dire que la littérature africaine n’existe pas. La littérature tout court, elle oui. Peut-être peut-on juste regrouper des individus écrivant dans une même langue, et encore… » Né en 1965 à Djibouti, alors territoire français, Abdourahman A. Waberi sitôt le bac en poche, échoue à Caen (où il vit toujours) rêve d’étudier la géopolitique, se voit « journaliste regardant l’Afrique marcher ». Et se retrouve sur les bancs du département d’anglais, et plus tard prof. Quand il se met à écrire, il va naturellement vers la chose courte, la nouvelle. Lui dit des "historiettes". C’est une question de tempérament. « Le bon gros roman post-balzacien me gonfle. Le court me va. J’y combine le poétique à la politique. »
Ses "récits" racontent son pays, Djibouti, terre à guerres et à famines, racontent des moments d’enfance, de tiraillements, de ciel toujours bleu au-dessus de la désespérance, mais aussi l’horreur absolue, le génocide rwandais : « on dit que les génocides tuent deux fois. Une fois avec la machette. Une fois avec l’oubli. » Son ouvrage Moisson de crânes, textes pour le Rwanda (Ed. Serpent à Plumes, 2000) n’est pas qu’un livre-dénonciation, c’est aussi une tentative de percer le mystère de la cruauté humaine…
Waberi imagine que s’il était resté à Djibouti, il serait sans doute aussi devenu écrivain. Son exil en France lui a servi « d’accélérateur de particules » : « Aurais-je pu lire là-bas les français Eric Holder, Pierre Autin-Grenier, l’américain Raymond Carver ? » Tous des nouvellistes qui lui ont inoculé le virus du poétiquement virulent.
Martine Laval