Née en 1962, Olga Tokarczuk a grandi en Basse-Silésie, dans le sud-ouest de la Pologne, dont le passé est allemand et le présent polonais. Ses grands-parents firent partie de ces milliers de migrants expulsés des régions orientales du pays, cédées à l’URSS au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Cette histoire migratoire familiale a forgé pour beaucoup une relation singulière à l’espace qu’Olga Tokarczuk résume par ces mots : « Apparemment, il me manquait ce gène qui fait que, dès que l’on s’arrête un peu plus longtemps quelque part, on y plonge ses racines. Ce n’était pas faute d’avoir essayé. Tout simplement, mes racines ne s’enfonçaient pas assez profondément, de sorte que le moindre souffle de vent me bousculait. Je n’arrivais pas à germer, je n’ai pas reçu ce don propre aux végétaux. Je ne tire pas ma sève de la terre (…) »
De ce mouvement perpétuel naît Les Pérégrins, patchwork inclassable de fragments littéraires, de bribes de conversation, d’anecdotes personnelles et de réflexions nées dans des aéroports, des hôtels ou des halls anonymes récompensé par le Prix Nike (le Goncourt polonais).
« Si la narration change, le monde change. »
Diplômée de psychologie de l’université de Varsovie, elle conserve de sa formation la conviction « qu’il n’y a rien d’objectif, que nous ne pouvons percevoir la réalité que depuis tel ou tel point de vue », affirmant par ailleurs qu’« entre l’homme et la réalité, il y a un processus très intéressant d’interprétation. C’est là que commence la littérature ».
Et, dès ses premiers écrits, le mystère, l’irrationnel et le voyage s’invitent dans le quotidien de personnages extravagants. Elle s’inscrit se faisant dans le courant du réalisme magique où le réel et le mystique s’interpénètrent jusqu’à se fondre l’un dans l’autre comme dans Dieu, le temps, les hommes et les anges (Robert Laffont, 1998), son premier grand succès.
Traversée par le désir de trouver des réponses aux questions existentielles sur le mystère de la vie humaine, son œuvre s’attache à abolir les frontières entre les genres littéraires, qu’elle qualifie, dans son discours de réception du Prix Nobel, de barrières stériles engendrées par le capitalisme contemporain. Dans ce discours, elle résume également l’ambition toute particulière de sa plume érudite : trouver des manières nouvelles de raconter le monde. Un narrateur fait de toutes les particularités du tout vivant qui nous entoure, capable d’empathie et de tendresse - « la variante la plus humble de l’amour » - envers chacun des personnages constitue pour elle l’unique manière de rendre compte du commun de l’expérience humaine.
Écologiste, féministe, proeuropéenne pessimiste tendre, l’écrivaine polonaise demeure convaincue des pouvoirs de la littérature, capable de ressouder les imaginaires. Dans cette période de grands bouleversement de vie, de mentalité et même de philosophie que nous traversons, elle se dit convaincue de la nécessité de créer de nouveaux mythes.
En 2020, elle créée la Fondation Olga Tokarczuk à Wroclaw grâce à son Prix Nobel dans le but de soutenir la culture et l’art polonais dans le monde, et dans le soucis de défendre les droits humains et civiques, la protection de l’environnement, et les droits des femmes. Une institution qui se positionne pour une société démocratique où la liberté d’expression et l’égalité sont les valeurs cardinales. Prolongeant ainsi dans le réel les ambitions portées par son œuvre littéraire. En 2021, elle reprend la direction du Festiwal Gory Literatury, qui se déroule chaque année en juillet.
Bibliographie
- Le Banquet des Empouses, trad. du polonais par Maryla Laurent (Noir sur blanc, 2024)
- Jeu sur tambours et tambourins, trad. du polonais par Maryla Laurent (Noir sur blanc, 2023)
- Le tendre narrateur. Discours du Nobel et autres textes, trad. du polonais par Maryla Laurent (Noir sur blanc, 2020)
- Histoires bizarroïdes, trad. du polonais par Maryla Laurent (Noir sur blanc, 2018)
- Les livres de Jakób, trad. du polonais par Maryla Laurent (Noir sur blanc, 2018)
- Les enfants verts, trad. du polonais par Margot Carlier (Éditions la Contre allée, 2016)
- Les Pérégrins, trad. du polonais par Grażyna Erhard (Noir sur blanc, 2010)
- Sur les ossements des morts, trad. du polonais par Margot Carlier (Noir sur blanc, 2012)
- Récits ultimes, trad. du polonais par Grażyna Erhard. (Éd. Noir sur blanc, 2007)
- Maison de jour, maison de nuit, trad. du polonais par Christophe Glogowski (R. Laffont, 2001)
- Dieu, le temps, les hommes et les anges, trad. du polonais par Christophe
- Glogowski (R. Laffont, 1998)