André Breton en Haïti

Trois mots d’explication historique : en décembre 1945, en route vers l’Europe dévastée, Breton arrive de New York, pour donner une conférence à Port au Prince. Il est accompagné de Wifredo Lam, le peintre cubain d’origine africaine et chinoise. Sa deuxième femme, la belle Elisa Breton est également du voyage. Durant ce séjour mouvementé, rien de moins qu’une mini révolution qui, à l’initiative des jeunes poètes haitiens, Depestre, Jacques Stephen Alexis et Bloncourt, renverse le dictateur Elie Lescot (encore un !), ils vont rencontrer Hector Hyppolite qui n’a plus alors que trois ans à vivre.

Hyppolite


Dans son livre Le Surréalisme et la Peinture, publié en 1965, Breton écrit : « Je reverrai longtemps à la place qu’il occupait au pied de l’escalier menant aux salles d’exposition le premier tableau d’Hyppolite qu’il me fut donné de voir et qui me causa le plus vif, en même temps que le plus agréable saisissement. C’était au centre d’Art de Port au Prince, en décembre 1945, dans une vieille maison charmante de la rue de la Révolution où un Américain, M. De Witt Peters, avait eu l’heureuse initiative de réunir les productions d’un certain nombre d’artistes haïtiens pour la plupart autodidactes et s’efforçait en outre d’éveiller des vocations de peintres en tenant atelier ouvert, du papier et des crayons mis à la disposition de ceux qui voulaient s’essayer. Toute préoccupation lucrative n’était, certes, pas exclue de l’entreprise, la peinture dite « primitive » dispose d’une assez large clientèle américaine, mais l’intérêt qu’elle présentait sous le rapport de l’encouragement et de la suscitation faisait mieux que compenser ce côté un peu ennuyeux de la question. Le tableau qui m’arrêtait au passage m’arrivait comme une bouffée envahissante de printemps. Les toiles d’Hyppolite étaient marquées du cachet de l’authenticité totale ; elles étaient les seules de nature à convaincre que celui qui les avait réalisées avait un message d’importance à faire parvenir et qu’il était en possession d’un secret. Nous ne saurions assez répéter que ce secret est tout... »
Dans les années 70/90, j’avais plusieurs fois rencontré Elisa Breton en compagnie de mon amie le peintre sculpteur Ruth Franken. Pour l’ex position du Grand Palais (1988) « Art naïf, art vaudou », Elisa m’avait généreusement prêté les toiles d’Hyppolite : Marinet et Ogou Ferraille qu’à leur retour de Port au Prince ils avaient accrochés dans l’atelier de la rue Fontaine, à côté d’un Giorgio de Chirico. Trente ans plus tard, avec le même enthousiasme pour la créativité haïtienne, André Malraux offrirait à Sophie de Vilmorin un tableau talisman de Saint Brice ; ils l’avaient placé en face d’une toile de Rouault « pour qu’ils puissent se parler ensemble. » Eminents protecteurs et Parrains d’Haïti, les « deux André » avaient ainsi succombé au charme d’un même art magique. L’art vaudou.

Jean-Marie Drot

Autoportrait d’Hyppolite

"Les Toiles d’Hyppolite étaient marquées du cachet de l’authenticité totale ; elles étaient les seules de nature à convaincre que celui qui les avait réalisées avait un message d’importance à faire parvenir, qu’il était en possession d’un secret.
Nous ne saurions assez répéter que ce secret est tout ..."

André Breton

"… La peinture d’Hector Hyppolite apporte, je pense, les premières représentations qui aient été fournies de divinités et de scènes vodou. A ce titre seul, en tant que peinture religieuse primitive, elle présenterait déjà un intérêt considérable."

André Breton