Vaudou : le nom du monde est magie

« Le Vaudou était là, avant toutes les autres religions. Le Vaudou est plus ancien que le Christ. Il est la première religion de la Terre. Il est à la création même du monde. Le monde fut créé par le Vaudou. Le monde fut créé par magie. Le premier magicien est Dieu, qui créa le monde de ses propres mains avec la poussière de la Terre. Les peuples sont nés par magie dans toutes les régions du monde. Personnee vit par la chair. Chacun vit de l’esprit. Je peins pour montrer au monde entier ce qu’est le Vaudou. Les trois quarts des gens de par le monde croient que le Vaudou est diabolique. Je peins pour montrer que ce n’est pas vrai. »

André Pierre, artiste peintre, juillet 1986, à la Croix-des-Bouquets

Le Vaudou fascine, le Vaudou fait peur. Peu de mots sont chargés d’autant de mystère que celui-là, épouvante et séduction mêlées. Films, romans, récits ont forgé un réseau de clichés extraordinairement prégnants — en bref, comme l’écrivait le grand ethnologue Alfred Métraux, pour s’en désoler : « des visions de morts mystérieuses, de rites secrets et de saturnales célébrées par des nègres “ivres de sang, de stupre et de Dieu “ » — et pourquoi pas, pour faire bonne mesure, de dévorateurs d’enfants. Nous sommes, on le verra plus loin, très loin du compte…

Camille Rameau, Les dieux se penchant sur le destin d’Haïti
huile sur toile, 102x76 cm, Afrique en création

Le Vaudou fait peur, parce que nous ne le connaissons pas. Le Vaudou fascine, parce que l’Occident y a inscrit au fil des siècles ses fantasmes, sa peur de l’autre, de l’inconnu — et de l’inconnu en soi. Et ce n’est sans doute pas le plus facile à accepter, que ce « Vaudou imaginaire » soit en fait notre miroir… De cette « légende noire du Vaudou » Alfred Métraux a dit très justement qu’elle était le fruit de la peur et de la haine : « On n’est jamais cruel et injuste avec impunité ; l’anxiété qui se développe chez ceux qui abusent de la force prend souvent la forme de terreurs imaginaires et d’obsessions démentielles . » De la part des maîtres des plantations, d’abord, mais on verra qu’elle sera amplifiée, cette légende, tout au long du XIXe, pour « effacer » la gifle donnée à l’Occident par des esclaves révoltés — la première république noire de l’Histoire ! Il fallait montrer que, livrée à elle même, Haïti ne pouvait que retourner à la barbarie de cannibales hallucinés — et les écrivains, dessinateurs et pamphlétaires s’employèrent avec ardeur à entretenir cette imagerie d’épouvante. Celle-ci sera encore amplifiée, avec tous les moyens modernes de communication, quand les Etats-Unis occuperont l’île, entre 1915 et 1934 — puisqu’il fallait donner à cette occupation brutale les airs d’une libération : le premier film d’épouvante hollywoodien, et ce n’est pas un hasard, aura pour thème les « zombis ». Essayer d’aborder le vaudou exige d’abord de se déprendre du regard du maître.

Les patients travaux des ethnologues ont mis à mal cette « légende noire ». L’autre danger serait aujourd’hui, sous le prétexte d’une vision enfin apaisée, de réduire le Vaudou à un « folklore » comparable peu ou prou à tous les folklores de par le monde. Ce serait, croyons-nous, manquer l’essentiel, qu’André Malraux et André Breton avaient compris, dès leur premier contact : qu’il s’agit d’une religion, non d’un folklore, c’est-à-dire d’une conception du monde, et du divin, complexe, cohérente, où l’art trouve à déployer ses pleines puissances — bref, de la mise en œuvre(s) (et, pour le coup, le mot est à entendre dans son sens strict) d’une métaphysique de l’imagination créatrice. Ou, si l’on préfère, d’une manière proprement unique qu’eut un peuple placé dans une situation d’extrême souffrance de s’inventer, en fictionnant de part en part le réel pour le rendre habitable. André Breton le perçut, avec une rare justesse, dès le pied posé en l’île : un surréalisme en action.

Hector Hyppolite, {Maîtresse Erzulie}
Huile sur toile 57x89 cm, musée national d’Art Haïtien, Port-au-Prince, Haïti

C’est dans cet esprit, qu’en 2003, j’avais conçu à l’abbaye de Daoulas, avec l’aide de nombreux amis haïtiens, collectionneurs, artistes, prêtre vaudou, une exposition « Vaudou », à bien des égards exceptionnelle, et d’abord par la qualité des pièces rassemblées, dans un va-et-vient constant entre le vaudou proprement dit, son panthéon, ses rituels, et la création des artistes haïtiens, peintres ou sculpteurs, dont on pourra mesurer, au fil des textes du catalogue que nous allons reprendre ici, à quel point elle se nourrit de cette dimension spirituelle, et, s’en nourrissant, lui donne vie, l’invente. La preuve par l’art, en quelque sorte…

J’ajoute que ce fut le début d’une belle aventure, qui devait se poursuivre par une belle édition « Caraïbe » d’Etonnants Voyageurs à Saint-Malo, puis la création d’une édition haïtienne du festival, en 2007, en complicité avec les écrivains haïtiens, que devait suivre celle de janvier 2010.

Michel Le Bris

 

À suivre dans cette rubrique la semaine prochaine : "Les origines africaines du Vaudou"


À consulter

Vaudou Sous la direction de Michel Le Bris, Editions Hoebeke, 2003 (216 pages, 300 illustrations quadri)