Demain

Écrit par : ARMILLOTTA Perrine (5ème, Collège de Notre Dame de Bury, Margency)

J’avais tellement prié, tellement espéré que la guerre le garde pour elle.

J’étais même allé jusqu’à demander un jour à maman si tous les papas revenaient de la guerre ; se méprenant sur mes sentiments en posant cette question, elle m’avait pris dans ses bras et m’avait bercé doucement.

— Moi aussi j’espère très fort le retour de papa tu sais ! Mais il faut que nous soyons patients.

Elle m’avait éloigné d’elle pour me regarder dans les yeux.

— Je sais qu’il nous reviendra.

J’avais été très vexé que ma maman chérie souhaite si fort le retour de cet homme dont je ne gardais que quelques souvenirs flous ; malgré tout, voyant la tristesse dans les grands yeux noisette de ma mère, j’avais gardé le silence et étais allé mettre le couvert sur la jolie table de notre cuisine.

Aujourd’hui, j’étais devant ce grand homme qui me regardait avec des yeux rieurs, au fond desquels je pouvais percevoir un peu de gêne… Comme si c’était à lui d’être gêné ! Irrité, je me suis échappé des bras de ma mère pour monter à l’étage. Lorsque je suis arrivé dans ma chambre, j’ai claqué la porte très fort et je me suis jeté sur mon lit pour bouder. Je suis resté comme ça, visage contre ma couverture aux odeurs familières, pendant cinq minutes. Puis, le fourmillement qui a traversé mes jambes a repris le dessus et je me suis relevé d’un bond. J’ai balayé ma chambre du regard : les jouets en bois qui jonchaient le sol et les quelques livres que je possédais me firent remonter le temps jusqu’au jour de mes cinq ans.

Maman avait invité les cousins que j’aime bien avec oncle Sam et tante Maggie. C’était bien, les adultes discutaient et nous on jouait dans la cour malgré nos jeunes âges. Au moment des cadeaux, c’est un peu flou, mais je me souviens que mon père s’était approché de moi et m’avait tendu un magnifique illustré qu’il avait relié lui-même -c’était son travail avant la guerre- et dont la couverture présentait deux petits oursons qui dansaient en dessous d’un titre écrit en belles lettres dorées. Je me suis surpris à vouloir chercher ce livre. J’ai secoué la tête : je savais que je ne le retrouverais sûrement pas, j’avais dû le donner.

Ma colère envers mon père a commencé à retomber et je me suis senti un peu penaud de l’avoir accueilli comme ça. Non, c’est sûr, je ne voulais pas qu’il rentre, je voulais qu’il nous laisse, maman et moi, à notre vie à deux et à nos petits plaisirs ! Mais je n’étais pas stupide, et je savais que la guerre était une chose atroce. J’en étais là dans mes pensées quand quelqu’un à toqué doucement à ma porte. Je ne savais que faire et je me suis contenté de ramener mes jambes sous moi.

— Oui ?

La porte s’est ouverte doucement. Je m’attendais à voir mon père, mais c’est le joli visage de maman qui est apparu dans l’embrasure de la porte.

— Je peux entrer ?

J’ai hoché la tête.

Elle s’est glissée dans la pièce et est venue s’asseoir doucement sur mon lit. Ne sachant que dire, j’ai attendu qu’elle parle. Le temps a semblé s’étirer. Maman a finalement levé la tête vers le plafond.

— Je ne viens pas pour te faire des remontrances. Je sais que c’est compliqué à accepter… Je sais aussi ce que tu penses. Tu penses qu’il va prendre ta place dans mon cœur. Mais tu sais que c’est impossible ! Vous avez chacun une place bien distincte dans mon cœur. Ton père ne prendra jamais ta place. Et puis tu sais… la guerre, c’est très compliqué à vivre. Il aura besoin du plus d’attention possible. Tu es assez grand pour le comprendre, n’est-ce pas ?

J’ai hoché la tête. Maman s’est levée et a ouvert la porte.

— On ne va pas tarder à dîner !

Elle m’a caressé les cheveux puis elle est sortie. Je ne savais pas quoi faire. J’ai décidé de monter dans le grenier de la maison ; c’est là que je vais lorsque j’ai besoin de réfléchir. Cette pièce est pleine d’objets dont on ne se sert pas ou plus, comme ce vieux vase aux couleurs défraîchies dont maman ne veut pas se séparer. J’ai donc monté les escaliers menant au grenier quatre à quatre pour ne pas perdre de temps. Arrivé en haut des marches, j’ai ouvert la porte en bois et je suis entré dans la pièce basse de plafond. Si un adulte y entrait, il devrait se baisser, mais moi, du haut de mes dix ans, je pouvais évoluer sans ennuis.

L’air sentait la poussière et le rayon de soleil qui entrait par la petite fenêtre n’éclairait que sommairement les objets entreposés dans la pièce. J’ai commencé à avancer, quand mon regard a été attiré par un coffre que je n’avais jamais remarqué. Il était caché par un vieux rideau de tissu que j’ai écarté délicatement ; il était entouré de lanières en cuir très usé tout comme le bois. Je n’ai pas eu besoin de toucher au cuir car le couvercle s’est soulevé sans résistance, révélant une certaine quantité d’objets anciens dont une vieille blague à tabac. Et au fond, sous tous ces objets, il y avait un casque militaire. Il était bosselé, usé et taché, mais je l’ai trouvé magnifique. Sans réfléchir, j’ai pris le casque, je l’ai posé par terre, et sous une table basse, j’ai vu un livre, qui me paraissait étrangement familier. Je l’ai attrapé et dès lors que je vis la couverture, je le reconnus : c’était le livre que mon père m’avait offert à mes cinq ans ! J’étais très heureux de mes découvertes mais je ne savais pas si je devais en parler à maman. J’ai décidé de le faire, mais plus tard.

Je suis descendu poser le casque et le livre dans ma chambre, juste avant que maman ne m’appelle pour le dîner. J’étais tellement absorbé par mes trouvailles, que je n’avais pas remarqué la délicieuse odeur qui avait envahi la maison. Je suis descendu dans la cuisine et j’ai trouvé mes parents attablés devant de généreux bols de soupe épaisse dans laquelle trempaient trois bouts de lard. Je me suis assis à ma nouvelle - ou plutôt ancienne - place avec un sentiment de culpabilité de ne pas avoir aidé ma mère à préparer le repas. Nous avons commencé à manger dans un silence gêné. Puis mon père a engagé une conversation à laquelle j’ai pris part, en essayant de ne pas trop regarder le bandage de l’ancien soldat. Le malaise s’est peu à peu dissipé, sans pour autant disparaître.

Lorsque je me suis glissé dans mon lit, mon attention fut attirée par le casque et le livre sur ma commode. A ce même instant, maman est entrée dans ma chambre pour me dire bonne nuit. Elle m’a bordé doucement comme quand j’étais plus petit. Elle m’a embrassé puis elle est sortie. Je me suis endormi très vite.

Je me suis réveillé en sursaut en entendant un cri de terreur. C’était une voix d’homme, et j’avais tellement peur que j’ai mis trente seconde à comprendre que c’était mon père. J’ai bondi de mon lit et j’ai couru jusqu’à la chambre de mes parents. N’osant pas entrer, j’ai regardé discrètement par l’ouverture de la porte. Mon père avait les yeux révulsés d’horreur, il était couvert de sueur et il articulait des mots sans son. Maman l’a alors pris doucement dans ses bras pour le bercer comme un enfant.

— Tout va bien, calme-toi, tu es à la maison ! Tout va bien…

Je suis retourné en silence dans ma chambre. C’est en ressassant ce que je venais de voir et d’entendre que j’ai pris conscience d’une chose : la guerre est une chose tellement atroce, tellement indescriptible, qu’elle hante et reste gravée à jamais dans la mémoire des soldats survivants. Et à ce moment-là, j’ai prié de toute mes forces pour qu’il n’y ait plus jamais de période aussi noire que la guerre…

J’étais sur le point de me rendormir quand j’ai eu une idée. Je n’ai pas réfléchi longtemps. J’allais le faire… mon père devait savoir que je le comprenais. Je me suis endormi heureux.

Lorsque je me suis réveillé, le ciel commençait à s’éclaircir. Je me suis levé en silence, j’ai enfilé un bermuda et je suis sorti.

Je suis revenu dans ma chambre quinze minutes plus tard. Comme il était encore tôt, j’ai fermé les yeux, le sourire aux lèvres…

Maman est entrée dans ma chambre pour me réveiller. Elle avait les larmes aux yeux et le visage rayonnant de fierté. J’ai compris qu’elle avait vu. Je suis sorti de mon lit et elle m’a pris par la main. En bas, mon père était assis sur les marches du perron. Sur ses genoux se trouvait le casque de soldat que j’avais trouvé dans le grenier, et dedans, j’avais placé un bouquet de fleurs des champs. Papa a tourné vers moi des yeux remplis de larmes et de reconnaissance…