Comme dans un film

Écrit par : BOLOGNA Flavie (1ère, Lycée de Jacques Callot, Vandoeuvre-les-Nancy)

— Ils arrivent, a dit Jules. Ses yeux brillaient d’une joie féroce.

Le temps s’est mis alors à ralentir comme dans un film : ce moment précis où l’action se déroule lentement devant les yeux du héros et elle défile en un temps infini pendant que tout s’arrête autour de lui. C’était comme si ces deux et simples mots avaient brisé l’espace-temps. Tout s’est stoppé et la vitesse de chaque mouvement a chuté d’un seul coup.

J’ai regardé autour de moi, tour à tour, chacun des membres de ma famille.
Dans les yeux de Jules se reflètent des émotions négatives, violentes, noires et synonymes de cruauté. Il s’imagine peut-être que ce n’est qu’une action, une situation, voire un niveau de jeu vidéo et que, quoi qu’il arrive, il pourra appuyer sur reset et recommencer depuis le début. Rien que pour me rassurer, j’ai un instant cru que c’était le cas mais la réalité m’a rattrapé de plein fouet. Le temps où Juliette lisait des histoires pour endormir notre fils est révolu, et on ne pourra jamais revenir en arrière. Nous avons, à ce moment précis, perdu notre fils, notre enfant encore trop petit pour grandir et vivre la vie d’un adulte. Bien entendu, il a quatorze ans, mais à cet âge, on n’est pas censé voir des choses aussi horribles que celles qui vont suivre ou du moins pas dans la réalité.

Chloé arbore, quant à elle, une expression confiante, sûre d’elle dans sa posture et ses traits du visage mais ses yeux bleus, qu’elle a hérité de sa mère, trahissent sa peur intérieure qui la ronge très certainement. Rien qu’en la regardant, je peux lire en elle comme dans un livre ouvert. Elle semble terrorisée, angoissée, terrifiée face à ce qui arrive. Dans sa main délicate, fragile et minuscule repose la dernière grenade qui recouvre sa paume, celle qu’elle n’a pas lancée ; ma fille la regarde sans réellement y croire. C’est elle qui l’a demandée mais a l’air de vouloir s’en débarrasser au plus vite pour oublier ce qui se passe. Je suis sûr qu’elle ne veut pas voir ce qui est en train de se produire et qu’elle espère que tout cela ne soit qu’un mauvais rêve, un cauchemar dont elle va se réveiller d’un instant à l’autre. Malheureusement, il s’agit bien là de la réalité, aussi cruelle et horrible soit elle.

Ce dont je suis sûr et certain, c’est que l’innocence de mes enfants vient de leur être arrachée et volée pour toujours. Ils ne pourront plus jamais voir les choses, le monde avec un œil insouciant, un regard d’enfant.

Ils viennent de perdre toutes leurs chances de ni vivre ni assister, de n’être ni spectateur ni acteur de ce qui va suivre. Ils en garderont des séquelles irréversibles : des cicatrices visibles comme invisibles, externes comme internes, physiques comme psychologiques, ancrées en eux comme un marquage indélébile. J’ai honte de ne pas avoir réussi à leur épargner ces souffrances. Maintenant il est trop tard pour regretter, tout ce qui a précédé seize heures appartient au passé et on ne peut pas revenir en arrière. La seule action permise est avancer, pas de choix ou d’autres options possibles.

Le temps reprend son cours habituel, voire plus rapide, comme pour compenser celui qu’il vient de perdre en me laissant observer le monde qui m’entoure. L’action se passe à un rythme effréné. C’est à peine si j’ai le temps de penser. L’histoire continue. Elle explose pour la scène finale. Tous les spectateurs attendent le dénouement.

Ils fracassent la porte. Jules tire des balles dans le vide. Chloé s’effondre et pleure dans ses genoux. Juliette tente de protéger notre fille. Elle fait barrière avec son corps.

Je lève mon arme vers les assaillants. Je me concentre pour viser. Mon regard est attiré par les cris de rage de Jules. J’aperçois Juliette qui s’écrase au pied de Chloé. Ma fille crie. Sa voix monte dans les aigus. Jules continue de tirer. On dirait une machine de guerre. Un automate sans âme qui tue tout ce qui bouge. C’est monstrueux. Il a fini par leur ressembler.

Des balles fusent de partout. Je panique. Quoi dois-je faire ?

Le ralenti recommence pour marquer l’importance et la tragédie du moment. La scène a évolué : Juliette n’est plus parmi nous, Chloé pleure et hurle en même temps face à la situation. Son sang froid s’est envolé, sa confiance s’est brisée et sa pureté a été tachée. Elle est traumatisée par tout ce qui se passe à tel point qu’elle tremble comme une feuille. Jules a cette lueur indescriptible dans le regard, celle d’un meurtrier. Il ne ressemble plus, en rien, à mon fils. Je n’ose pas regarder nos ennemis, par peur ou par colère, je ne sais pas vraiment.

Mes pensées s’emmêlent, s’entortillent. Elles filent et défilent dans mon esprit, si vite, trop vite comparé à ce qui se passe sous mes yeux. Ces images qui arrivent par milliers en même temps et s’effacent quelques secondes après seulement, sans pour autant ne pas laisser de traces de leur passage. Impossible de réfléchir clairement ou d’avoir des idées cohérentes dans ce chaos ambiant, la pièce ne ressemble plus à rien, de même que les personnes qui s’y trouvent.

Et encore une fois, la vitesse retourne à la normale. La tension est maximale. Le spectateur est collé à son siège de cinéma. Une balle vient heurter le bras de Jules. Le sang se met à couler. Une autre emporte la vie de Chloé.
Je relève mon arme mais pas vers mes assaillants. Pas cette fois, non. Je la pointe vers mon fils. C’est mon devoir de le faire.
Deux balles partent. Un écho sourd résonne. Silence.

"C’est fini" lit Mme Nicolas. Sa classe de troisième est majoritairement suspendue à ses lèvres. Leurs yeux s’écarquillent pour la plupart, d’autres sèchent leurs larmes. Certains attendent une suite tandis que la professeure de français referme le livre et le repose sur son bureau.

"Pourquoi a-t-il tué son fils ? demande une élève au premier rang, frustrée par la fin du roman.

— Qui est mort ? demande un de ses camarades, émergeant de sa sieste improvisée.

— Rien ne dit que Jules est mort.

— C’est sous-entendu, rétorque la fille en se retournant, agacée par la naïveté de sa camarade.

— Ce roman est sujet à de nombreuses polémiques, beaucoup de critiques pensent que la fin est cruelle puisque le narrateur tue son fils, explique Mme Nicolas. Pourtant, personne ne sait ce qu’il ferait à sa place. Ce qui nous amène à notre travail d’aujourd’hui : je veux que vous rédigiez deux paragraphes argumentés, un premier pour montrer les mauvais côtés de l’action finale du narrateur et un second où vous montrerez les bonnes raisons de son choix. Vous avez quarante-cinq minutes, c’est à dire jusqu’à quatre heures."