A picture taken on December 23, 2014 shows a view of Saint-Pierre on the French northern Atlantic island of Saint Pierre and Miquelon. AFP PHOTO / STEPHANE DE SAKUTIN / AFP PHOTO / STEPHANE DE SAKUTIN

Eugène Nicole, le seul grand écrivain natif de Saint-Pierre, est l'auteur d'une fresque monumentale sur son "caillou" bien-aimé.

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Ce n'est pas l'intitulé d'un plat de poissons. Ni même celui d'une tourte aux crustacés. Et pourtant, ce nom-là sent déjà la mer. Situé au sud de Terre-Neuve et à l'est du Québec, l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon est un confetti de 242 kilomètres carrés.

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Visité par Jacques Cartier en 1535, investi par les marins basques et bretons, c'est, à quelque 4000 kilomètres de Saint-Malo, un territoire avec lequel les Anglais et les Français ont joué au yoyo jusqu'à son rattachement définitif à la France, en 1816. Survolé par Lindbergh en 1927, à la onzième heure de sa traversée historique, c'est aussi un lieu foulé par Al Capone à l'époque de la prohibition et balayé par les vents et le blizzard.

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Avec un tel pedigree, pas étonnant que les écrivains y aient posé momentanément leur plumier: Chateaubriand, en 1791, dans ses Mémoires d'outre-tombe ("Ses côtes perçaient, en forme de bosse noire, à travers la brume [...] j'attendis qu'une rafale, arrachant le brouillard, me montrât le lieu que j'habitais, et pour ainsi dire le visage de mes hôtes dans ce pays des ombres"), Céline en 1938 dans une lettre à son avocat ("C'est l'île la plus pauvre et la plus désolée du monde - c'est tout ce qu'il nous reste du Canada, de notre grandeur - c'est l'Ile-Reproche"), en passant par Pierre Schoendoerffer (Le Crabe-Tambour, 1976), Hervé Jaouen (L'Adieu aux îles, 1986), Didier Decoin (Louise, 1998), jusqu'à Yann Queffélec, en janvier 2016.

Des paysages magnifiques, une lumière exceptionnelle

Marin et breton, ce dernier avait tout pour présider le premier festival littéraire de l'archipel, du 24 au 29 mai, qui s'inscrit dans le cadre des célébrations du bicentenaire du rattachement à la France. Il revient de son repérage nettement plus enthousiaste que ses illustres prédécesseurs: "Nous sommes arrivés dans un petit coucou en pleine tempête de poudrin, une sorte de grêle cinglante, dont on avait dégagé la piste dix minutes avant notre atterrissage, confie-t-il en riant. Les paysages sont magnifiques, la lumière exceptionnelle et la pollution visuelle inexistante. Quant à nos compatriotes, qui fréquentent assidûment les bibliothèques, ils ont soif de tout ce qui vient de métropole. J'en ai parlé à Sylvain Tesson et à Patrice Franceschi qui vont venir avec moi pour le festival, ils sont tous très excités."

Tous des mayous! (des "métropolitains"), pourrait s'exclamer Eugène Nicole, le seul (grand) écrivain natif de Saint-Pierre, ce "caillou" bien-aimé, dont il a fait le coeur de sa monumentale fresque épique L'OEuvre des mers, soit cinq volumes, publiés entre 1988 et 2011. Ce spécialiste de Proust, né en 1942, n'a cessé d'écrire sur ces "chiures de mouche entre les rives en chiens de faïence de l'Océan", sans doute parce qu'il s'en est éloigné, d'abord en France, dans un sinistre pensionnat de Vendée, avant la Sorbonne parisienne, puis à New York, où il enseigne la littérature française.

"Personne ne s'était encore penché sérieusement sur son histoire, c'était du pain bénit pour moi", confie-t-il aujourd'hui. A cette oeuvre d'une vie, autobiographie collective et ethnographique nourrie par les souvenirs d'enfance, les légendes, et scandé par les naufrages, Eugène Nicole vient d'ajouter des miscellanées ou plutôt, précise-t-il, des "petits éléments qui enjolivent les marges comme Les Fioretti de saint François d'Assise"; anecdotes et images ressuscitent par touches et en toute poésie les premiers pas de cet orphelin de mère élevé par un père, comptable dans l'entreprise familiale, et par des grands-parents, entre Saint-Pierre et Langlade, la petite Miquelon reliée à la grande par une langue de sable.

"Des Robinson, en osmose avec la nature"

"A Langlade, où nous débarquions par la mer avec les provisions, les poules, du charbon pour passer nos longues vacances d'été, sans électricité ni eau courante, c'était le paradis, raconte-t-il. Tels des Robinson, en osmose avec la nature, nous avions l'impression d'être de véritables aventuriers."

Tout comme à Saint-Pierre, finalement, où les enfants tracent leur chemin dans la brume à leur guise, creusent des tunnels de neige à l'insu des adultes, vivent au rythme de l'arrivée du vapeur postal en provenance de Sydney (Nouvelle-Ecosse) qui alimente la librairie en revues. L'écrivain s'est doté, en outre, d'un formidable poste de vigie au Café du Nord, où les pêcheurs de morue, les fameux Terre-Neuviens, viennent s'échauffer entre deux campagnes. "La patronne, ma petite et fragile grand-mère, était la seule à réussir à faire régner l'ordre", se souvient-il, les yeux admiratifs. De quoi alimenter l'imagination...

Avant de participer au festival littéraire à la fin du mois sur sa terre natale, Eugène Nicole ira converser ce 14 mai avec quelques étonnants voyageurs de Saint-Malo, dont Jean-Marie Pen et Sandrine Pautard. Le premier, qui signe J-M. Pen, fils de feu le sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon Albert Pen, a passé son enfance sur l'archipel avant de jeter son sac à Nantes où il peaufine ses polars (Un certain Arthur Bony, Le 2 d'octobre... chez Ex Aequo). La seconde, médecin paloise, a séjourné à Saint-Pierre, cadre de son roman noir historique, La morue voit rouge (L'Harmattan). Sauront-ils convaincre les Malouins du charme de "ce pays des ombres"?

LE SILENCE DES CARTES, par Eugène Nicole.L'Olivier, 152p., 15¤.

ÉTONNANTS VOYAGEURS, à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). Du 14 au 16 mai.

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