L’odyssée

Écrit par KERBIRIOU Maelle (1ère, Lycée St Pierre Fourrier de Brunoy), sujet 2. Publié en l’état.

- Je ne sais pas, je sais seulement qu’ils fuient, comme nous.
- Mais on fuit quoi, au juste ?
- On fuit la guerre, Inès.
- Pourquoi, Hilal ?
- Parce que le gouvernement nous persécute, et on ne peut rien faire. On ne peut pas lutter... On ne peut qu’espérer que cela cesse. Et en attendant, il faut partir.
- Mais pourquoi ils nous font ça ?
- Arrête de poser autant de questions... Je t’expliquerai tout une fois qu’on sera en sécurité. Il faut qu’on soit le plus discret possible.
La petite fille hocha la tête, la larme à l’oeil. Les deux enfants avancèrent dans l’obscurité, la lune les guidant, suivant les dizaines d’autres personnes comme eux. Après quelques heures, Inès tira la manche de son frère.
- J’ai faim...
Hilal sortit un quignon de pain de sa poche, et lui tendit. Sa soeur en dévora la moitié, puis le fixa de ses yeux tristes.
- T’en veux aussi ?
Le garçon secoua la tête. Il avait promis à ses parents de garder Inès en vie, et cela même s’il devait se priver du nécessaire.
L’inexorable marche de ces femmes, ces enfants, ces pères de famille, n’était pas freinée par les bombardements tout proches, ni par les quelques personnes qui mourraient de faim, de soif, d’épuisement. Quand quelqu’un tombait, on fouillait ses poches à la recherche de nourriture ou d’argent.
Hilal finit par porter sa soeur sur le dos, parce qu’elle avait les pieds en sang. De la poussière rentrait dans ses chaussures. La faim lui nouait l’estomac, et sa gorge sèche le brûlait.
La fuite de ces personnes paraissait vaine : où aller ? En Europe ? Les réfugiés sont mal perçus, et les conditions de vie sont très difficiles... Mais c’est le seul endroit assez sûr et aussi près, même s’il est très cher. Heureusement, Hilal avait pris les passeports et l’argent que son père lui avait tendus, avant leur départ. Il y avait assez afin de payer les passeurs pour sa soeur et lui.
La traversée à pied de la Syrie dura trois jours. Hilal et Inès se partageaient les petites rations de nourriture qu’ils avaient emportées. Une fois arrivés à la frontière, ils rencontrèrent d’autres réfugiés. Des soldats protégeaient et surveillaient les personnes qui attendaient de pouvoir franchir la frontière, ici une simple structure de béton encadrée de chaque côté par un mur infranchissable surmonté de barbelés.
Les pleurs et les cris fusaient, les mères consolaient leurs enfants, et les hommes tentaient de négocier un passage plus rapide avec les soldats rebelles. Des voitures et des camionnettes attendaient elles aussi, mais le passage était un véritable goulot. Les deux enfants attendirent plusieurs heures avant de passer enfin de l’autre côté.
Hilal avait soif, mais il tendit la gourde à sa soeur, qui but l’eau jusqu’à la dernière goutte. Par chance, au premier village turc croisé, des bénévoles leur tendirent des bouteilles d’eau et de la nourriture. Les deux enfants passèrent leur première vraie nuit, depuis leur départ, dans le campement des bénévoles. Le lendemain, ils repartirent avec un sac rempli de provisions.
Cette fois, Hilal et Inès voyagèrent en bus. Dans le véhicule étaient entassés plus de passagers que recommandé. Tous étaient réfugiés. Ils furent déposés presque vingt heures plus tard dans une ville portuaire. D’autres réfugiés attendaient le départ de leur bateau.
Plusieurs jours passèrent avant qu’Hilal ne parvienne à contacter un passeur, et il attendit presqu’un mois avant de pouvoir monter dans le bateau avec sa soeur. Ils étaient une centaine dans une petite embarcation, censée ne transporter que quinze ou vingt passagers. L’épave avança en mer, agitée ce soir-là. A chaque grosse vague, Inès retenait son souffle, les larmes aux yeux.
Ils arrivaient près des côtes grecques quand une vague plus grosse que les autres fit chavirer l’embarcation. Il y eut des cris de panique, les parents appelaient leurs enfants. Hilal pris sa soeur par le bras et la tira vers la côte. Des bateaux de sauveteurs arrivaient déjà. Les deux enfants furent tirés hors de l’eau très rapidement. On les enveloppa d’une couverture de survie, et on leur donna une bouteille d’eau.
Une vingtaine de réfugiés décéda lors de l’accident. Les sauveteurs amenèrent les survivants dans un centre spécialisé, après leur avoir fait des analyses médicales.
- On a réussi, Inès. On est en Europe !
Sa soeur lui sourit timidement. Ils avaient enduré tellement de souffrance, vu tellement d’horreur. Inès avait beau être heureuse d’avoir laissé la menace des bombardements derrière elle, ses parents lui manquaient. Elle commença à pleurer. Son frère la serra alors contre lui. Ils restèrent ainsi pendant quelques heures, jusqu’à s’endormir.
Les deux enfants restèrent au centre durant quelques semaines. On enregistra leur identité. Les bénévoles s’occupaient d’eux du mieux qu’ils pouvaient. Après s’être remis de la première étape de leur périple, Hilal et Inès se remirent en route vers l’ouest, avec un sac rempli de provisions.
Leur voyage fut éprouvant. Une marche interminable, des frontières presque infranchissables, des habitants peu commodes... Ils réussirent finalement à atteindre la France, où vivait déjà leur oncle.
Les enfants étaient non loin de l’adresse de leur futur chez eux quand surgit une bande de jeunes hommes. Ils étaient grands, le crâne rasé et tatoué de symboles obscurs, vêtus de noir. Ils avaient des barres de fers à la main. La bande s’avança vers les deux syriens, l’air menaçant. Les jeunes se ruèrent finalement sur eux. Ils les mirent par terre, les frappant, les injuriant. Ils partirent enfin, après s’être défoulé sur les deux enfants, de seize et neuf ans.
Inès se réveilla deux ans plus tard, dans un hôpital, des tuyaux dans le nez et une seringue dans le bras. Un homme était à ses côtés, son oncle. Elle apprit que son frère était mort cette nuit-là. On n’avait aucune nouvelle de ses parents. Mais la guerre en Syrie avait cessé. Daesh avait été anéanti, et le président syrien n’était plus qu’un mauvais souvenir. La plupart des réfugiés étaient rentrés pour reconstruire une vie, ainsi qu’un pays.