Bienvenue à Haâh

Écrit par LEFEBVRE DULMET Arthur (3ème, Collège Edouard Herriot de Chenôve), sujet 2. Publié en l’état.

[...]
- Je ne sais pas, je sais seulement qu’ils fuient, comme nous.
Cela fait une semaine que Xar marche, la main de Xora, sa petite sœur, dans la sienne, s’arrêtant pour une faire une pause à chaque rotation de la lune-bêta, dormant par terre, mendiant de la nourriture autour de lui. C’est la quarante-quatrième guerre entre Îkse, son pays, et Zèd, le pays voisin, l’ennemi héréditaire. Xar cherche à se réfugier comme tant d’autres à Haâh, le plus riche pays du monde connu, neutre à chaque guerre qui secoue la planète Alpha-B, s’enrichissant encore sur le dos des belligérants grâce à ses ventes d’armes. Une fois la frontière avec Haâh franchie, il espère retrouver ses parents, disparus lors de la prise de leur village par les Zediens. Ceux-ci avaient emmené tous les habitants mais leurs parents avaient eu le temps de lui dire de fuir au loin avec sa sœur
Devant les deux enfants s’étend la longue colonne des fugitifs marchant dans la plaine, brisés, les yeux vides, leurs maigres possessions serrées contre eux de peur qu’on ne leur arrache. Xar scrute attentivement chaque visage, avec l’envie d’y reconnaître les traits de ses parents. En vain. Il se garde bien de montrer à sa petite sœur son découragement et son effroi. Le brouillard se lève sur la grande étendue traversée par les migrants et on entend déjà au loin le cri des xoars sauvages, les carnassiers qui s’approchent de leur cohorte tous les soirs, emportant chaque nuit un butin choisi parmi les plus faibles d’entre eux. Xar serre un peu plus fort la main de la petite.
– Où va-t-on, grand frère ? demande Xora. Le poste-frontière est par là, tu te trompes ! Elle montre la colonne des réfugiés.
– Ils ne nous laisseront pas tous passer. Changeons de cap, dit Xar en désignant la chaîne des sommets Delta, la frontière naturelle entre Haut et Bas-Alpha.
Le frère prend sa sœur sur son dos pour se diriger au plus vite vers la montagne. _ _ Le brouillard s’épaissit. Il leur faut trouver rapidement un abri pour la nuit. Xar sait qu’il devra rationner le peu de nourriture, quitte à se priver pour Xora. Le chemin commence à grimper plus. Les cailloux roulent sous les pas du garçon, l’air fraîchit. _ _ Le poids de sa sœur se fait sentir. Que faire ? A-t-il pris la bonne décision ? Soudain, la fillette s’écrie : “Là, une habitation !”. Elle saute à terre, se met à courir vers la porte avant que son frère ait le temps de la retenir, par prudence.
– Qui peut bien habiter là ? Quelle curieuse maison ! Regarde, elle est à moitié enterrée sous la montagne...
– Méfie-toi, rétorque Xar. On ne sait jamais à qui se fier. Ne fais pas de bruit.
Il essaie d’ouvrir la porte. Fermée. Il ramasse une grosse pierre et s’apprête à casser une vitre.
– Je peux t’aider ? demande une grosse voix.
Xar se retourne dans un sursaut et découvre un couple. L’homme qui a parlé est grand, taillé comme un bœuf, vêtu du traditionnel hakâ en fourrure, il ressemble lui-même à un xoar des montagnes. Instinctivement, Xora se cache derrière son frère.
La femme, elle, est toute fine, presque minuscule. Elle porte un seau de xarottes qui sentent bon la terre. L’estomac de Xar gargouille à cette délicieuse fragrance.
Mais il est paralysé par la peur.
– Bon, dit l’homme-xoar, tu entres ou tu restes dehors ? Et se tournant vers la petite : Toi, tu aimes les xarottes, je parie ? Je m’appelle Ari, et voici ma femme, Ata.
– Heu...
– Tiens, prends les clés et ouvre la porte, ça ira mieux qu’avec ce caillou, moi, j’ai du bois à rentrer.
Xar se sent idiot mais obéit. L’intérieur de la maison est déroutant. Xora ne peut s’empêcher de fureter partout. Tout est peint en vert, le sol est comme en caoutchouc, dans une matière qu’elle ne connaît pas. La façade semblait toute petite dans la roche, en réalité la maison s’enfonce dans le flanc de la montagne très profondément. Tout est de plain-pied. Les enfants ne connaissent que les maisons à étages des plaines de Îkse. Xar se demande comment sortir de ce trou si jamais les ennuis arrivent. La petite femme l’interpelle :
– Vous avez faim ? Vous resterez ici pour la nuit, je pense ?
– Bien sûr, répond joyeusement Xora.
– Non, heu, je ne sais pas trop, la coupe Xar.
Ari les rejoint et prépare du feu. Sa présence ne rassure pas Xar. Ce sont les premières personnes qui les accueillent ainsi. D’habitude, c’est avec peur et mépris qu’on leur jette un quignon rassis, et encore, par pitié pour Xora. Ari et Ata cachent quelque chose, et ça ne plaît pas à Xar. Ils pourraient les vendre, ou les retenir prisonniers. Comment prévenir discrètement sa sœur du danger ?
Ata prépare une soupe de xarottes. D’un coup, elle s’arrête :
– Suis-je bête, Ari ! Les habitants de Îkse ne mangent que de la viande !
Ari acquiesce et se tourne vers les enfants. Mais Xar, piqué au vif, réplique :
– N’importe quoi ! Nous sommes végétariens dans la famille ! Il n’y a pas de généralité qui tienne à ce sujet !
Vraiment, ces gens sont étranges. On voit bien qu’ils ne sont pas du pays.
– Vous venez de Haâh, n’est-ce pas ? Alors que savez-vous d’ici ? Vous avez les préjugés habituels des habitants du Haut-Alpha sur les gens du Bas-Alpha. Moi, je sais que dans votre pays, plus personne ne sait rien faire de ses dix doigts car tout y est robotisé !
– C’est faux, répond Ari tranquillement de sa voix de basse. Seuls les riches Haâïens et les gens proches du pouvoir ont des robots.
– Mais vous êtes tous riches, là-bas, vous ne comprenez pas ce qui se passe ici, la guerre, la pauvreté, la faim, la peur... Là-bas, vous avez tout ! Ici, nous, on n’a rien ! Même notre pays va être rayé de la carte tandis que Haâh continuera à prospérer et à nous mépriser !
Xar se rend compte un peu tard d’en avoir trop dit. Et si ce type le prenait pour un rebelle ? Et s’il les livrait ? Que deviendrait sa promesse faite à son père de veiller sur Xora ? Ari le regarde gentiment.
– Alors, c’est bien ça. Vous êtes des clandestins, vous voulez passer la frontière ? Tu penses que c’est mieux de l’autre côté ? Avec les robots, la paix, la richesse... Hein ? Tu crois ça ? Sais-tu que le gouvernement est corrompu ? Que quatre-vingt dix-neuf pour cent de la population vit dans une pauvreté extrême ? Même les riches sont manipulés par la clique du roi Argor !
– Des pauvres ? À Haâh ? En tout cas, vous êtes bien nourri pour un pauvre. Vous voulez nous embrouiller ou quoi ?
– Non, juste te dire la vérité. Pourquoi crois-tu que nous sommes partis ?
– Parce que... vous êtes peut-être des espions à la solde des Zèdiens ou des rebelles ? Votre maison est bien cachée, et bien située pour observer les déplacements des migrants sur la plaine...
Ari part d’un grand rire et se tape les cuisses. Ata s’approche de lui, elle met la main sur son épaule.
– Il ne peut pas comprendre, Ari, vas-y raconte-lui ce que nous faisons ici.
– Et si eux, ils étaient des espions haâïens ? Tu y as pensé, Ata ? grogne-t-il.
– On n’est pas des espions, s’indigne la petite Xora, espèce de vieux xoar !
– C’est qu’elle mordrait ! Elle me plaît bien, cette petite ! Allez va, je m’en doute que vous n’êtes pas des espions, petiote. Mais avant toute chose, je vous invite à partager notre bonne soupe de xarottes, et je vous prie de croire que ce ne sont pas des robots qui les ont plantées, cueillies ou cuisinées ! Ou alors Ata est un robot très perfectionné !
Les enfants se jettent sur la nourriture sous le regard bienveillant du couple. Ensuite, tout le monde s’installe devant le feu. Ari raconte lentement leur histoire. Ils ne sont pas, de toute évidence, des espions zediens. Ils avaient passé presque toute leur vie à Haâh. Dans ce paradis dont rêve Xar. Leur famille avait toujours été proche de la dynastie argorienne. Ils avaient construit leur vie dans l’aisance, mais aussi sans se rendre compte de la réalité à Haâh. Leur fille, Aria, était devenue une journaliste célèbre alors qu’elle n’avait nul besoin de travailler pour vivre. Au cours d’un reportage, elle avait découvert le sort réservé aux réfugiés de guerre par Argor. Non seulement, Haâh allumait, selon elle, la flamme de la discorde entre ses voisins, de manière à ce que ces derniers lui achètent les armes qu’il produisait en série, mais aussi il recueillait les réfugiés victimes de ces guerres, non pas par humanité mais pour les parquer dans des camps-usines où ils fabriquaient ces mêmes armes et dont ils ne sortaient pas vivants. Ces révélations changèrent leur vie pour toujours. Ils prirent conscience des mensonges de l’État. Aria fut obligée d’entrer en clandestinité et ses parents ne tardèrent pas à la suivre. Argor réussit à cacher aux yeux du monde ses atrocités, en faisant diversion avec cette nouvelle guerre entre Zèdiens et Îksiens. Le vieux couple se cacha alors dans la montagne pour tenter de dévier la route des réfugiés qui croyaient encore au paradis argorien.
Xar est interloqué. Il reste méfiant après un tel récit qui contredit tout ce qu’il pense.
– Alors, tous ces gens dans la plaine se trompent peut-être ? Ils croient trouver la paix et la liberté alors qu’ils vont mourir ?
– Oh non ! Pas tout de suite en tout cas, ils vont d’abord être exploités, comme vous le serez, ta sœur et toi, alors que si tu restes de notre côté, tu as une chance.
– Pourquoi je vous croirais ? Elle est où, Aria ? Vous n’avez aucune preuve de ce que vous dites !
– Demain, je t’emmène à Haâh, de l’autre côté de la montagne, tu verras bien.
– D’accord, mais je ne vous laisse pas ma sœur ici. On ne se sépare pas.
Pendant la nuit, les enfants chuchotent entre eux. Xora veut faire confiance à Ari et à Ata. Elle en a assez d’errer. Xar persiste. Au fond de lui, il aimerait bien croire que Ari est le père d’une héroïne qui se bat pour la liberté. Mais tout ça ne lui paraît qu’une vaste blague du vieux fou. On lui aurait menti sur tout depuis le début ? Allons donc ! C’est facile de s’inventer une vie de héros ! Tout le monde sait qu’Argor est un roi autoritaire, cela n’en fait pas un tyran. C’est le seul monarque qui a réussi à préserver son pays des guerres et à le faire fructifier. Quelques xarottes n’achètent pas la confiance !
À l’aube, Ata réveille les enfants, leur donne deux brioches puis Ari les emmène dans une autre pièce où il les équipe de casques et les encorde. À travers un tunnel creusé au fond de la maison, ils montent peu à peu vers la crête. Ils débouchent à l’air libre au bout de quelques rotations de la lune-bêta. La neige recouvre tout et Xar comprend pour quoi le vieux géant a adopté le hakâ en fourrure. Avant de partir, Ata a couvert les deux enfants d’une pelisse similaire. Désormais ils doivent descendre sur l’autre flanc de la montagne. Ils sont enfin à Haâh. La végétation est dense, tout est blanc, mais on voit qu’Ari a l’habitude.
– On y est presque, regardez la fumée là-bas, dans la vallée. C’est le camp-usine le plus proche. On va aller l’examiner de plus près.
Xar ne répond rien. Il espère fausser compagnie au vieil original et tenter sa chance avec Xora dès qu’ils arriveront près de la ville. Celle-ci est bientôt visible. Ari conseille de rester à couvert sous les arbres. Il confie au garçon une paire de macrolunettes.
– Alors, mon gars, tu vois mieux de quoi je veux parler maintenant ?
Dans les lentilles grossissantes, Xar voit cinq hautes cheminées entourées d’autant de bâtiments, cernés de barbelés. Cela ressemble en effet à une usine, pas à une ville. Peut-être que les barbelés servent à éloigner les curieux. Un convoi approche.
– Alors, Xar, qu’est-ce que tu vois ? demande la petite Xora.
– Une usine tout ce qu’il y a de plus normale.
– Normale ? Avec trois rangs de barbelés ?! s’écrie Ari en essayant de chuchoter de sa grosse voix. Regarde donc qui arrive.
– C’est quoi, Xar ?
– Des véhicules-air. Des gens descendent.
– Des gens tout ce qu’il y a de plus normaux, j’imagine ? ironise Ari.
Xar ne répond pas. Des robots-soldats font sortir les personnes à coups de crosse d’électrofusils. Ces gens se courbent sous les coups, certains tombent à genoux, ne se relèvent pas. Xar a déjà vu ces dos brisés quelque part. Il commence à comprendre que le paradis est en train de disparaître sous ses yeux. Les portes de l’usine s’ouvrent, elles laissent place à un engin dont la pelle est pleine de formes bizarres. Xar règle la puissance des macrolunettes. La bile lui monte aussitôt à la bouche. Il lâche les lunettes, se précipite pour vomir derrière un rocher.
– Ça va mon petit ? s’inquiète Ari, sans voir que Xora s’empare des macrolunettes. _ Tu vois comme Argor accueille bien les réfugiés ? Je te l’accorde, c’est pas joli à voir.
Xora règle les lentilles. Elle voit les corps déversés par la pelle pendant que les nouveaux arrivants sont trainés de force à l’intérieur. Soudain, elle les voit, tordus, sur le sol froid, presque déjà ensevelis sous la neige.
– Maman ! Papa !