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Le Jeu d’Inéma

Le Temps des Cerises

Du « je » au « jeu », dans cette distance qu’évoquait Pessoa entre « moi » et celui que je crois être moi, dans cette distance qui appelle au voyage : « je n’ai que bouche d’horloge déréglée ».
Et là même, dans ce dérèglement-découverte de l’impossible soi et du monde alentour, se construit le poème.
De nuit. En terre d’alcools, blessures et pauvreté.
En terre de mauvaise vie.
Solidaire du drame de « ceux qui accèdent à l’éternité sans médailles d’or ».
Car qu’est le poète sinon « cet excès d’accès à l’autre » ?
Le jeu d’Inéma nous entraîne dans ces quartiers que l’on dit de non-droit, dans ces queues
de ville, vestiges ou excroissances, cités béton-carton où le marcheur ne marche qu’à ses risques et périls. La géographie du poète n’est pas affaire de beaux jardins, et son paysage amoureux ne compte pas de poupées sages. C’est dans la violence des sentiments des laissés-pour-compte que le langage va chercher sa vérité, sa tendresse même. « Muni de fêtes liquidant des naufrages modu- lés » la voix qui joue à dire « je » ou le « je » qui joue à se cacher dans le « jeu », cherche la fête sous le désastre, se mouille, se dépense, marche, boit, ne veut rien rater du vivant. C’est dans la matière même du délabrement et du désœuvrement que s’affirme, lucide et ivre, la plénitude du vivant. « Je dors une fois par an » et « c’est à mes sueurs que je donne la parole ».
Il y a dans ce poème quelque chose qui tient d’Une saison en enfer. Tout y est nourri d’une fulgurante révolte. Jusqu’à l’amour et le désir, présents, mais « comme une phrase sauvage coupée en deux ».
N’est pas poète des bas-fonds qui veut, tête penchée-levée.
N’est pas qui veut poète de l’errance encerclée. Dos au mur. Ou à la mer. Porte-parole, peut- être malgré lui, du chant de ceux qui déchantent, mais rêvent quand même.
N’est pas, avec une telle force, capable qui veut, d’assumer, dans les conditions du pire, le droit d’inventer son soi-même et son autre. Il s’agit là, sans aucun doute, d’un grand texte poétique. Car, quoi que lui offre ou lui oppose la vie : alcool ou bras de mer, errance, ancrage, échouage, solitude, désir, il sait que le bien le plus précieux est de ne « jamais perdre la maîtrise des naufrages ».
Extrait de la préface de Lyonel Trouillot

Le Jeu d’Inéma

Le Temps des Cerises - 2016

Du « je » au « jeu », dans cette distance qu’évoquait Pessoa entre « moi » et celui que je crois être moi, dans cette distance qui appelle au voyage : « je n’ai que bouche d’horloge déréglée ».
Et là même, dans ce dérèglement-découverte de l’impossible soi et du monde alentour, se construit le poème.
De nuit. En terre d’alcools, blessures et pauvreté.
En terre de mauvaise vie.
Solidaire du drame de « ceux qui accèdent à l’éternité sans médailles d’or ».
Car qu’est le poète sinon « cet excès d’accès à l’autre » ?
Le jeu d’Inéma nous entraîne dans ces quartiers que l’on dit de non-droit, dans ces queues
de ville, vestiges ou excroissances, cités béton-carton où le marcheur ne marche qu’à ses risques et périls. La géographie du poète n’est pas affaire de beaux jardins, et son paysage amoureux ne compte pas de poupées sages. C’est dans la violence des sentiments des laissés-pour-compte que le langage va chercher sa vérité, sa tendresse même. « Muni de fêtes liquidant des naufrages modu- lés » la voix qui joue à dire « je » ou le « je » qui joue à se cacher dans le « jeu », cherche la fête sous le désastre, se mouille, se dépense, marche, boit, ne veut rien rater du vivant. C’est dans la matière même du délabrement et du désœuvrement que s’affirme, lucide et ivre, la plénitude du vivant. « Je dors une fois par an » et « c’est à mes sueurs que je donne la parole ».
Il y a dans ce poème quelque chose qui tient d’Une saison en enfer. Tout y est nourri d’une fulgurante révolte. Jusqu’à l’amour et le désir, présents, mais « comme une phrase sauvage coupée en deux ».
N’est pas poète des bas-fonds qui veut, tête penchée-levée.
N’est pas qui veut poète de l’errance encerclée. Dos au mur. Ou à la mer. Porte-parole, peut- être malgré lui, du chant de ceux qui déchantent, mais rêvent quand même.
N’est pas, avec une telle force, capable qui veut, d’assumer, dans les conditions du pire, le droit d’inventer son soi-même et son autre. Il s’agit là, sans aucun doute, d’un grand texte poétique. Car, quoi que lui offre ou lui oppose la vie : alcool ou bras de mer, errance, ancrage, échouage, solitude, désir, il sait que le bien le plus précieux est de ne « jamais perdre la maîtrise des naufrages ».
Extrait de la préface de Lyonel Trouillot