Publicité

L’écrivain voyageur est-il has been ?

Célébré à Saint-Malo, lors du Festival Etonnants Voyageurs, l’écrivain du même type n’est-il qu’un stéréotype éculé ? Où est la relève ? Où nous emmène-t-elle ?

0203531488479_web.jpg

Par Alexandre Fillon

Publié le 30 mai 2014 à 03:00

Depuis Homère et « L’Odyssée », littérature et voyage font bon ménage. Au fil des siècles, hommes et femmes ont arpenté les océans, les déserts, les cimes enneigées. Bourlingué à pied, avec un âne, un cheval. A la voile, en cargo ou en automobile. Avec l’envie de raconter, de partager. Certains ont d’abord été voyageurs avant d’être écrivains.

Alexandra David-Neel nous a éclairés sur le bouddhisme et l’Himalaya. Wilfred Thesinger, dont le premier mot prononcé à en croire ses parents a été « partir », nous a si bien parlé des peuples nomades africains et asiatiques. Citons aussi Bernard Moitessier, navigateur vagabond et solitaire, à propos duquel on lira « Moitessier, le long sillage d’un homme libre » de Jean-Michel Barrault (Arthaud). D’autres, d’abord écrivains, se sont faits voyageurs. Comme Rudyard Kipling, Joseph Kessel, Jack London ou Blaise Cendrars. Tous, on les retrouve réunis dans le beau livre que leur a consacré Laurent Maréchaux, « Ecrivains voyageurs. Ces vagabonds qui disent le monde » (Arthaud, 2011).

Rédacteur en chef adjoint des hors-séries de « GEO » et écrivain voyageur de premier plan, Jean-Luc Coatalem nous fait entrer en Corée du Nord avec son dernier livre, « Nouilles froides à Pyongyang » (Livre de Poche). Il rappelle à quel point, à partir de 1990, le festival Etonnants Voyageurs de Saint-Malo a contribué, sous l’impulsion de Michel Le Bris, Jean-Claude Izzo ou Christian Rolland, à mettre en lumière un genre littéraire majeur et à casser les frontières. « J’ai toujours eu le sentiment que ça existait, dit l’auteur de “Mission au Paraguay” (La Petite Vermillon). Je continue à croire que ça dure. » Pour lui, le voyage a changé. « On choisit son voyage soi-même sur Internet, il y a une facilité à réserver et à déréserver qui n’existait pas avant. Je m’apprête à prendre un billet d’avion pour Bakou, en Azerbaïdjan, sans le moindre problème. » Ce qu’il nomme « l’appétit du monde » continue de se vérifier chez des gens comme Sylvain Tesson, pour qui il a beaucoup d’admiration. « C’est quelqu’un de courageux physiquement, qui a fait des choses dangereuses, souligne Coatalem. Son livre “Dans les forêts de Sibérie” [prix Médicis essai 2011, Folio] est très fort. »

Publicité

Ecrivain qui vient de signer un roman nous entraînant vers Fort-de-France, « La Grande Nageuse » (Mercure de France), voyageur et éditeur de plusieurs livres de Sylvain Tesson aux éditions des Equateurs, Olivier Frébourg parle mieux que personne de son ami. « Sylvain Tesson a commencé par le voyage, presque l’exploit sportif, puis il s’est intériorisé. Au moment de son “Petit traité sur l’immensité du monde”, il est devenu un écrivain littéraire. Il a prouvé ensuite avec des nouvelles où il dépasse le thème du voyage, qu’il avait beaucoup de cordes à son arc et à son violon. »

Tesson a apporté « un regard pertinent et un style poétique, lyrique », confirme Tristan Savin. Le journaliste et écrivain est rédacteur en chef de « Long cours ». Une revue littéraire de voyage dont le dernier numéro comporte notamment une nouvelle inédite de Jay McInerney, où l’Américain raconte le tour du monde qu’il a effectué pendant vingt ans afin de goûter les meilleurs vins. Parmi les jeunes pousses, Tristan Savin distingue également Julien Blanc-Gras. Dans « Paradis (avant liquidation) » ☻☻(Au Diable Vauvert 2013, repris en Livre de Poche), celui-ci fait le récit d’un voyage au cœur des îles Kiribati, Etat archipélagique d’Océanie menacé par la montée des eaux. « Il a un regard décalé, un humour sans méchanceté », estime Savin, qui mentionne encore le nom de Cédric Gras. Un garçon né en 1982 qui a déjà à son actif « Vladivostok, neiges et moussons » (Phébus, 2011), préfacé par… Sylvain Tesson, et un recueil de nouvelles paru cette année chez Phébus, « Le Cœur et les Confins », où il montre « comment l’amour peut être compatible avec les voyages ».

« Le vrai voyage est intérieur »

Jean-Luc Coatalem avoue une préférence pour les auteurs et les livres qui parlent à la fois de géographie et d’histoire, qu’elle soit générale ou intime. Il vante les mérites d’« Une si lente absence » (éditions Le Bec en l’Air, 2014) d’Eric Faye. Un voyage de Moscou à Pékin à bord du Transsibérien, agrémenté de photographies de Xavier Voirol, où l’on découvre une « méditation sur le temps, sur le vide, une réflexion sur la solitude et le paysage ». Chez les écrivains voyageurs étrangers, Coatalem recommande particulièrement deux ouvrages. Le « Berlin-Moscou » (L’Esprit des Péninsules, 2005) de Wolf­gang Büscher, « parti sur les traces de son grand-père et des troupes allemandes jetées contre le rouleau compresseur russe ». Et l’« Eloge des voyages insensés » (Verdier, 2008) de Vassili Golovanov, récit rêveur d’une expédition sur l’île polaire « toute ronde » de Kolgouïev dans le Grand Nord.

Tristan Savin, lui, juge qu’il est plus compliqué de cerner une relève chez les écrivains voyageurs étrangers. « On ne sent pas un mouvement, on ne trouve pas de nouveau Bruce Chatwin chez les Anglo-Saxons », dit-il. En revanche, il ne tarit pas d’éloges devant « les talents de conteur, l’écriture poétique qui embarque immédiatement, la culture et l’humour » de l’Italien Paolo Rumiz. Après « L’Ombre d’Hannibal » (Hoëbeke 2012, prix « L’Express » de l’essai, repris en Folio), le Triestin publie le remarquable « Pô, le roman d’un fleuve » (collection « Etonnants voyageurs », Hoëbeke).

A l’instar de Jean-Luc Coatalem, Olivier Frébourg souligne que la donne a changé. Que tout le monde voyage aujourd’hui avec facilité, que l’exotisme n’est plus le même qu’au temps de Pierre Loti. L’expression écrivain voyageur, il s’en méfie. « Il ne suffit pas d’aller en Afrique ou en Asie pour être un bon écrivain. Le vrai voyage est intérieur, qu’il se passe à Vannes, à Bécon-les-Bruyères ou au Sri Lanka. Les Pataugas ne sont pas la condition sine qua non et minérale pour être un écrivain voyageur », lance-t-il. L’important, avant tout, c’est le style. Ce qui l’amène, en matière de relève, à citer le nom d’Emmanuel Carrère qui, avec « D’autres vies que la mienne » (Folio) et « Limonov » (Folio), a prouvé qu’il était un « écrivain porté par le voyage ».

« L’une des choses les plus agréables du monde est de partir en voyage ; mais j’aime partir seul », notait William Hazlitt dans un texte de 1822 que l’on trouve dans « La solitude est sainte » (Quai Voltaire). Seul, on ne le sera pas si l’on est avisé de glisser dans sa valise quelques volumes fraîchement parus. Si l’on prend soin d’emporter « Les Oies des neiges » de William Fiennes (Hoëbeke), qui traite autant de la migration des oiseaux que du bonheur d’être en vie. Ou « L’Autre pays » de Sébastien Berlendis (Stock), plus beau voyage en Italie de récente mémoire. Dernières preuves que la relève est dignement assurée !

Les lauréats du Festival Etonnants Voyageurs

Prix littérature Monde : Joseph Boyden pour Dans le grand cercle du monde (Albin Michel) et Carole Zalberg pour Feu pour Feu (Actes Sud).Prix Ouest France Etonnants Voyageurs 2014 : Lola Lafon pour La Petite communiste qui ne souriait jamais.

Alexandre Fillon

MicrosoftTeams-image.png

Nouveau : découvrez nos offres Premium !

Vos responsabilités exigent une attention fine aux événements et rapports de force qui régissent notre monde. Vous avez besoin d’anticiper les grandes tendances pour reconnaitre, au bon moment, les opportunités à saisir et les risques à prévenir.C’est précisément la promesse de nos offres PREMIUM : vous fournir des analyses exclusives et des outils de veille sectorielle pour prendre des décisions éclairées, identifier les signaux faibles et appuyer vos partis pris. N'attendez plus, les décisions les plus déterminantes pour vos succès 2024 se prennent maintenant !
Je découvre les offres

Nos Vidéos

xqk50pr-O.jpg

Crise de l’immobilier, climat : la maison individuelle a-t-elle encore un avenir ?

x0xfrvz-O.jpg

Autoroutes : pourquoi le prix des péages augmente ? (et ce n’est pas près de s’arrêter)

qfkr8v3-O.jpg

La baisse de la natalité est-elle vraiment un problème ?

Publicité