Madeleine

Écrit pat Coline Gasnier, incipit 2, en 2nde PRO au Lycée professionnel Étienne Lenoir à Chateaubriant (44). Publié en l’état.

Et elle partit, tenant sa fille dans ses bras à la recherche, folle mais pas désespérée, d’un simple jouet d’enfant, d’une toute petite poupée en chiffon, dans ce monde cruel et obscur qu’était la guerre.
Elle marche, fatiguée, essoufflée, mais étant désespérément pleine d’espoir, dans une ville où des flammes, des explosions, des tirs de canons surgissent de partout. Elle veut y croire. Pour sa fille, sa vie. Son bonheur n’a pas de limite, ni de prix. Elle doit lui montrer qu’elle est forte. Malgré ces nuages de poussières de bombes, elles marchent. Elles marchent jusqu’à un certain endroit. Derrière ce virage, plein d’espoir pour cette petite fille au corps rongé par les extraits d’obus, de ses bras recouverts de sang chaud et fluide.

  • Où est ma poupée maman, s’exclame la fillette, où est-elle ?
    Sa mère la regarde. Se miroite dans ses yeux la désespérance du monde, elle soupire.
  • Ne t’inquiète pas ma chérie, nous allons la chercher. Il faut que nous marchions encore un peu elle nous attend. Elles cheminent tant bien que mal, les mains unies Parfois une rafale de vent les sépare, puis le souffle des bombes et quand la terre tremble. A chaque fois elles reviennent peau contre peau et se rassurent.
    A fatigue est là. Les bombes, ne se préoccupent pas de l’état des jeunes femmes pour éclater près d’elles. Verdun est méconnaissable. La guerre bat son plein, les rares personnes qu’elles croisent sont hagardes. La mère et sa fille aussi. Le sentier est remplit de boue, de flaques d’eau. Leurs vêtements sont trempés, sales disparaissent peu à peu sous les assauts des éléments. Là-bas, un abri, loin à quelques bombes, de tirs de fusils et de canons, un endroit qui fut un poulailler autrefois et d’où dépasse un peu de paille, elles s’y engouffrent.
    Dans un état médiocre, la femme déchire ses vêtements et absorbe le sang de la blessure à la tête de sa fille, avec le calme qui revient peu à peu, la blessure arrête de saigner. Ni l’une ni l’autre n’a sommeil, le carnage reprend. La fillette s’endort. Il n’y a plus que ces planches, cette paille couchée et vieillie et dehors comme issues.
    La jeune femme regarde son enfant dormir, elle doit veiller sur elle parce qu’elle l’a promis à son père, ce mari qu’elle ne reverra plus, qu’on lui a pris sans lui rendre son corps. Cet homme qui de ses mains façonnait le bois comme s’il était lui-même un arbre. Il prétendait d’ailleurs que dans ses veines coulait de la sève d’orme, son bois favori. Cet époux qui lui avait demandé sa main dans son atelier, le genou sur les sciures de bois alors même qu’elle avait toujours pensé qu’elle épouserait un fermier et non pas un menuisier. Cet homme avec qui elle était devenue une femme puis une mère, elle l’orpheline qui était devenue mère et avait été accueillie comme une fille par sa belle-famille. Cet homme au corps musclé et fin, à la tignasse des feuilles d’automne, on le lui avait pris. Sur un courrier, dans une petite enveloppe bleue apportée par le maire et un gendarme, il était écrit « Disparu ». Comme la poupée d’Henriette. Elles aussi, là, elles ont disparu et il faut faire revenir la vie.
    L’enfant se réveille :
  • Elle est où ma poupée ?
  • On va la chercher, mais il faut marcher si tu veux qu’on la retrouve.
    Les obus ne tombent plus. La terre s’apaise, le ciel est bas, il porte la peine du monde.
    A l’écart, une ferme plutôt isolée, loin de la misérable guerre envoie par sa cheminée une fumée légère. Quelques poules picorent dans la cour, indifférentes à leur arrivée. Une vieille femme, emmitouflée dans des épaisseurs de châles noirs leur fait signe de s’approcher.
  • Bonjour venez vite vous réchauffer et boire un peu de tisane chaude et du lait, vous irez rejoindre les autres dans l’étable.
  • Nous sommes les combientièmes errants de la journée ?
  • Oh je ne compte plus ! Mais vous pourrez rester là autant qu’il le faudra ne vous inquiétez pas. Pour la petite il y a un poste de médecine avancé à deux bâtiments de là, il faudra aller lui bander la tête et ils vous donneront de la poudre contre les poux, car il y en a dans la paille, les soldats viennent parfois dormir ici. Posez vos affaires si vous le voulez.
  • Nous n’en avons pas.
  • Les infirmières vont soigner votre petite.
  • Oui je vais y aller, je vous remercie.
    Dans le bâtiment les blessés sont entassés, ensanglantés, hurlants. Certains sont
    recouverts d’une capote allemande qui leur sert de couvertures. Une infirmière s’approche d’elles :
  • Vous regardez nos blessés allemands, ne vous inquiétez pas pour eux, ils seront soignés après les nôtres mais ils seront soignés. Montrez-moi la blessure de votre petite.
    La jeune mère frissonne, sous la porte de la grange un coup de vent entreprend de déranger le repos des blessés, en faisant un bruit étrange, elle pense à l’idée qu’elle se fait de la faucheuse quand vient l’heure de la suivre.
    Henriette est installée sur un établi et l’infirmière entreprend de lui bander la tête. Près d’eux un nourrisson babille dans un couffin de fortune :
  • On l’a trouvé il y a deux jours, les soldats l’ont sauvé des flammes ! C’est un petit garçon que l’on a prénommé Eugène en attendant de retrouver ses parents.
    Le nourrisson les regarde avec un sentiment d’éternité comme s’il voulait leur dire quelque chose, son regard se fixe sur l’une et sur l’autre à tour de rôle.
    Soudain, la petite fille fixe un point, dans le coin des grands blessés, ceux qui ne peuvent pas être transportés, un rideau seulement les sépare mais un médecin l’a laissé entrouvert. Henriette commence à murmurer, elle ne tient plus en place.
  • C’est ma poupée crie l’enfant qui saute de l’établi, alors que l’infirmière vient de fixer sa bande avec une aiguille à nourrice, c’est ma poupée !
  • Madame rattrapez là, cet endroit n’est pas un endroit où une enfant peut rentrer. Le rideau se referme et l’enfant pleure
  • Ma poupée, ma poupée !
    Alors sa maman jette un œil de l’autre côté du mur, et elle voit comme elle un morceau de tissu qui dépasse d’une main, qui dépasse d’un drap, que tient un homme momifié. Elle confie sa fille à l’infirmière :
  • Ils sont arrivés hier, ce sont nos soldats qui ont été blessés du côté Allemand, qui ont été récupérés et amenés ici.
    Puis-je entrer ?
  • Si vous voulez.
    Elle s’approche de l’homme au mouchoir, ce tissu qu’elle reconnait entre tous, le même avec lequel elle avait cousu une petite robe pour le jouet de sa fille et des mouchoirs. Ce chiffon. Le blessé grogne un peu, elle le regarde dans les yeux et sa bouche s’ouvre difficilement et elle entend, le seul mot qui compte, le seul qui redonne vie et espérance à tout ce qu’elle vient de perdre, le seul qu’elle a haï lorsque sa mère à elle, qui le portait elle aussi, l’a déposée à l’orphelinat à six ans et qui maintenant prend sens :
  • Madeleine, Madeleine ....
    L’infirmière s’approche d’elle :
  • Que dit-il ?
  • Il connait mon prénom...
    Madeleine est déjà en train de lire le nom et prénom du blessé au pied de son lit.