Roman sans titre est l’histoire d’un combattant au cœur de la guerre. Et la guerre est toujours une sale guerre. C’est le prix de la victoire du peuple vietnamien. C’est la souffrance, atroce, d’hommes et de femmes aux prises avec l’indicible. Le héros est un homme. Peut-être un soldat est-il toujours un homme ? " Toute la nuit, j’ai entendu le vent hurler à travers la Gorge des Ames Perdues. D’interminables gémissements entrecoupés de sanglots. Parfois, il hennissait comme une jument en chaleur. Le toit de bambou tremblait, les tiges écrasées sifflaient. On eût dit une symphonie funèbre traversant la campagne. Notre veilleuse vacillait, prête à s’éteindre. J’ai sorti la tête de la couverture. J’ai soufflé la flamme, espérant vaguement sombrer corps et âme dans la nuit. Une branche morte frappait le mur en cadence. Impossible de dormir. Dehors le vent mugissait comme une bête sauvage ! Alors j’ai murmuré une prière : " Chères sœurs qui avez vécu, qui êtes mortes en êtres humains, ne nous hantez plus. Protégez-nous. Armez nos corps, éclairez notre esprit. Que nous puissions vaincre à chaque combat... Quand viendra la victoire, quand notre patrie connaîtra la paix, nous vous ramènerons à la terre de vos ancêtres. J’ai enfoui mon visage sous la couverture. J’ai essayé d’oublier le vent. Mais le vent continuait de traverser la couverture, de s’engouffrer dans la Gorge des Ames Perdues. Deux semaines auparavant nous y avions enterré six jeunes filles. " Roman sans titre, peut-être pour arriver à dire ce qui n’a plus de voix, ou plus de visage, comme cette femme mutilée qui passe au début du récit.