Depuis des années, si je passe par les cités, je fréquente surtout les côtes… À la fois limite et ouverture, aire de résistance et de dissipation, ligne définissante et invitation au vide, la côte est sans doute le lieu par excellence d’une poétique de l’énergie, d’une cosmographie en action, d’une méditation mouvante. La variété des types de côtes se traduit par l’extrême diversité des aspects que peut prendre le trait de côte. Pour le décrire, on dispose d’un vocabulaire à la fois complexe et précis : interface terre-mer-vent ; mouvements migratoires, mouvements ondulatoires ; prélittoral, sublittoral ; variabilité, discontinuité ; submersion, divagation ; paysage initial, modalités graduées… J’en suis venu à préférer, et de loin, ce genre de vocabulaire à toute la terminologie littéraire dont nous avons hérité. Tel est, en tout cas, l’arrière-plan physique et mental de ce volume Les Rives du silence qui est constitué de trois livres distincts. Le premier contient des poèmes courts (comme une traînée aléatoire de galets), le deuxième, des poèmes plus longs (marches le long de la plage), le troisième consiste en un seul long poème (la vue de la côte entière à partir d’un lieu d’élévation). Le volume couvre une période de neuf ans — neuf années de travail poétique concentré et de pérégrinations en divers lieux de la terre. Faire œuvre poétique aujourd’hui, plus encore que jeter un défi, c’est parler dans le désert. Heureusement, il y a encore des individus qui résistent à l’amorphe, à la congestion qui sont la marque de notre état de civilisation. En publiant un livre de poésie aujourd’hui, c’est évidemment à ceux-là que l’on s’adresse, et peut-être, qui sait, à l’avenir.