Si vous voulez connaître un homme, regardez le marcher, regardez son allure quand il s’approche de vous. Yvon Le Men s’avance les bras ouverts, les mains légèrement posées sur les épaules de ceux qu’il a un jour aimé. Pas un seul. Il n’en a pas oublié un seul et sa solitude est faîte de cette mémoire là, éblouie. Et voici maintenant qu’il parle - je veux dire : qu’il écrit, car parler, écrire, aimer, perdre sont chez lui consanguins. Il appelle chaque parcelle du monde par le nom qui lui est dû. Elle vient vers lui. Il la recueille au creux de ses mains et la donne à manger à ses morts. A présent il se tourne vers les vivants et leur offre le plus rouge de sa langue - la beauté immédiate d’un silence. Puis tous s’en vont ensemble, ceux du passé, ceux du présent, et la page tremble d’une vie à venir, inoubliable. Ecoutez la, écoutez le, mangez le livre. Christian BOBIN