Hervé Jaouen a entrepris, voici quelques années, la construction d’une étonnante saga, des « Rougon-Macquart » à la mode de Bretagne. Ainsi se sont agrégés des romans comme Ceux de Ker-Askol, Les Filles de Roz-Kelenn ou encore Les Sœurs Gwenan et Ceux de Menglazeg. Un siècle de vie quotidienne, entre terre et mer, de paysans, pêcheurs et ouvriers vivant dans la région de Quimper. Gwaz-Ru constitue un nouveau rameau de cette fresque et met en scène un jeune rural qui, dans la première moitié du xxe siècle, croit trouver de meilleures conditions de vie en ville. Roman d’apprentissage, ce texte nous entraîne sur les chemins de la formation et de la déception d’un homme de bonne volonté qui ne peut accepter les idées toutes faites pas plus que toute forme de soumission. Gwaz-Ru (littéralement « le gars rouge », autrement dit le Rouge, le communiste) est le surnom de Nicolas Scouarnec. Né dans la région de Briec en 1900, jeune vacher et journalier agricole, il se distingue par son esprit rebelle, réfractaire à toute autorité, anticlérical forcené et épris de justice sociale. Il a une vingtaine d’années quand il est recruté par les militants de la SFIO qui l’incitent à quitter la campagne pour la ville et lui fournissent un logement dans un quartier populaire et un boulot de manœuvre dans le bâtiment. Dans un restaurant ouvrier où il prend pension, Gwaz-Ru rencontre Tréphine, la femme de sa vie. Ils se marieront et auront sept enfants. Dès son arrivée en ville, Gwaz-Ru fait également une autre rencontre, qui va affûter son esprit critique : il se lie d’amitié avec son voisin de palier, Vincent, un jeune professeur de philosophie qui a peu ou prou frayé, lui aussi, avec les communistes. Ce dernier, sans en avoir l’air, met en mots savants les pensées emmêlées de Gwaz-Ru, quasiment illettré. Et le révèle à lui-même : à tous points de vue, un esprit libertaire qui refuse aussi bien la discipline communiste que les errements des nationalistes bretons, à qui, un temps, il est tenté de se joindre. En 1939, Gwaz-Ru aura rompu avec le PC, rejeté la fraternisation des nationalistes bretons avec les nazis, quitté son boulot dans le bâtiment pour retourner « à la terre », en périphérie de Quimper, à Goarem-Treuz, travailler l’exploitation maraîchère d’un couple de vieux, ses bienfaiteurs. Pendant l’Occupation, il restera un observateur lucide et ironique, si bien qu’à la Libération ses anciens camarades du PC lui chercheront des poux dans la tête. Il sera incarcéré et traduit devant la Chambre civique pour marché noir. Injustement accusé, c’est un homme amer et brisé qui sort de prison. Il abordera la deuxième partie de sa vie dans l’état d’esprit d’un ermite misanthrope et parfait nihiliste.