Elucidations n’est pas un ample roman comme l’Art Français de la guerre, mais au contraire un recueil de textes très brefs, qualifiés d’« anecdotes » dans le sous-titre. Cinquante, exactement, écrites à la première personne du singulier, qui dessinent peu à peu un paysage mental. Ces anecdotes sont toutes construites de la même manière. Jenni rapporte dans un premier temps un souvenir –d’enfance généralement – auquel il juxtapose un autre récit, parent du premier, puisé cette fois dans l’expérience présente de l’auteur. Un principe de juxtaposition qui lui permet d’observer et d’analyser cette part de discontinuité et de distorsions qui nous habite et que la plupart du temps nous nous efforçons de gommer. Chaque anecdote en contient donc deux, entrechoquées l’une avec l’autre.Quelques exemples parmi les cinquante : le souvenir de son père lui apprenant les phénomènes physiques, les dalles pleines de fossiles du quartier où il vit à Lyon aujourd’hui, les grands ensembles qu’il aime habiter, le souvenir de sa mère à contrejour dans la lumière de son enfance, tout ce qu’il a lu au long de sa vie, tout ce qu’il a oublié aujourd’hui.Au premier abord, ces textes brefs nous font penser à un glaneur de souvenirs à la recherche d’impressions fugaces. Mais Jenni ne cultive pas des sensations universelles, au contraire, il veut révéler ce qu’a de totalement particulier notre expérience individuelle du monde. Tantôt mélancoliques, tantôt absurdes, tantôt amusées, ces « anecdotes », ne sont jamais monotones. Méditations simples et accessibles, elles témoignent d’un regard étonnamment modeste de l’auteur sur soi. L’enjeu n’est pas ici la connaissance, le savoir. Rien n’est péremptoire dans ce livre où les explications rationnelles ou doctorales sont bannies. C’est le familier qu’explore Jenni et qu’il ne quitte jamais – comme Lyon et la Saône où ses pas finissent toujours par le ramener.Une excursion originale et autobiographique hors du roman, qui surprendra mais intéressera certainement de la part d’un prix Goncourt.