Changement d’optique pour cette cinquième plongée dans les abysses de la culture rock. Cette fois, on jette un oeil à travers les hublots : comprendre ici les fabuleux carreaux derrière lesquels nos héros dissimulent leur timidité, leurs larmes ou leurs pupilles dilatées. Lunettes fumées, teintées, rafistolées à l’adhésif. Lorgnons, oeil de verre ou de biche... Lucien Suel et Cyrille Martinez décortiquent le mythe des lunettes noires, "reflet d’une manière étrange de traverser le monde". Catherine Mazodier puise dans le tiroir à souvenirs ses verres roses, bleus ou gris fumés. Le verre est trouble chez Pascal Bouaziz (Mendelson), tout nu sans ses binocles, perdu dans les vagues mais pas essoufflé. Charlene et les filles s’écroulent sur la plage, en fausses Ray-Ban. Momus ôte un bandeau sur son oeil mort, quand le Velvet refuse d’ôter ses verres de mouche – à cause des stroboscopes d’Andy Warhol, selon les recherches du Dr. Richie Unterberger. Un bel échantillon de binoclards se retrouve sous le crayon d’Hervé Bourhis et de David Scrima. Ou devant l’objectif de Renaud Monfourny, qui saisit Manoeuvre, Suicide, Sébastien Tellier, Zombie Zombie... Polnareff aussi est au rendez-vous, comme Buddy Holly, version crash. Ressuscité en opticien par Philippe Dumez, victime du Malin chez Isabelle Chelley, Buddy H. est peut-être la référence qui saute ici le plus aux yeux. Avec Lennon, en son hommage, Maylis de Kerangal célèbre le pouvoir séducteur des garçons à montures d’acier. Serge Clerc ressort autoportraits vintage aux lunettes noires et dessins à l’emblème de Debbie Harry. Et Marie-Laure Dagoit explique doctement le lien entre la conjonctivite et certaines pratiques sexuelles bien connues des groupies d’Axl Rose… A l’heure du bling bling, les lunettes peuvent-elles encore symboliser une certaine élégance rock ? Oui, assure la police du goût, la Peltag. Mais tout dépend de celle ou celui qui les porte. Mike Bloomfield, par exemple – coup de flash sur la légende (Pascal Regis). Ou Iggy Pop, qui singe à la télé les lunettes d’Yves Mourousi (Prosperi Buri). Ou Richard Hell, interviewé par Elodie Tacnet. A contrario, Serge Coosemans s’interroge sur son compatriote Marc Aryan, le tombeur belge aux culs-de-bouteille. Rock, ou pas rock ? Ça dépend, on vous dit. Même Om Kalsoum, Berberian n’est pas loin de voir en elle une rock-star. Mais enfin tout n’est pas rose, au pays des bigleux, car "qu’avons-nous fait au ciel pour que nous soit infligé Christophe Willem ?" (Luc Lemaire).