« Nous avons été tellement écrasés que le jour où nous nous sommes levés, notre échine est restée courbée. Peut-être aussi que nous sommes allés si loin dans l’héroïsme en combattant les envahisseurs que nous sommes tombés dans l’ennui et la banalité. Peut-être aussi que nous sommes convaincus que tous les héros sont morts et que ceux qui ont survécu n’ont pu y arriver que parce qu’ils se sont cachés ou ont trahi. Je ne sais pas, mais je sais tout le reste : aucun Algérien ne peut en admirer un autre sans se sentir le dindon d’une farce. Oui, mais voilà : laquelle ? » Extrait d’une des quatre nouvelles (Gibrîl au kérosène) qui constituent ce recueil, et qui chacune claque comme un uppercut, ce constat donne le ton du livre de Kamel Daoud. Né en Algérie, appartenant à la génération des fils de combattants (il est né en 1970), l’écrivain pose ici avec force la question de l’identité : la sienne et celle de ses compatriotes – qu’est-ce qu’être algérien aujourd’hui ? – mais aussi celle, d’actualité, de son pays. Dans la nouvelle-titre, Le Minotaure 504, il prête sa voix, dans un hallucinant soliloque, à « un taxieur qui déconseille aux gens d’aller sur Alger ». Gibrîl, le militaire fou d’aviation, héros du deuxième récit, attend, depuis des heures, que quelqu’un, à l’immense foire internationale où il a décidé de l’exposer, s’intéresse à l’avion qu’il a quasiment construit de ses mains. L’Ami d’Athènes (titre du récit suivant), lui, oublieux de la foule spectatrice des Jeux olympiques, est porté dans l’élan de sa course par les murmures des générations passées. Dans La Préface du nègre, celui qui est payé pour retranscrire les pensées d’un autre ne parvient à écrire que sa propre expérience d’enfant perdu de l’indépendance… Prophètes abandonnés, les personnages de Kamel Daoud poursuivent malgré tout leur quête. Dans ce pays qui leur échappe, leur cheminement erratique sonne comme autant de promesses de révolte.