Deon Mayer, auteur de "L'Année du Lion", roman qui parlait déjà d'un coronavirus qui dévaste la population humaine.

Avec <Italique>7 Jours</Italique>, l'auteur de polars sud-africain cher aux Français arpente sa ville et plonge dans la complexité d'un pays à reconstruire. Portrait d'un Afrikaner au grand coeur, lucide défenseur de la nation arc-en-ciel.

L'Express

Il a la carrure d'un première ligne Springboks, des mains de déménageur, un ventre de fin gourmet et un coeur en or. Dans les rues du Cap, en ce vendredi matin de début d'hiver austral, le plus célèbre auteur de polars d'Afrique du Sud se plie aux requêtes -les plus saugrenues- du photographe, s'engouffre dans un mur percé, taille une bavette avec un vieux coloured man (ainsi appelle-t-on, ici, les métis) assis sur un trottoir, grimpe saluer une mama, enlève sa casquette, la remet... Pas question de se rebiffer. "It's the job", commente, sourire aux lèvres, l'auteur du Pic du diable. Le "job", il le fera trois jours durant, désireux de faire aimer, lui l'Afrikaner, la nouvelle Afrique du Sud, cette nation arc-en-ciel, tant désirée et si imparfaite.

Publicité

Des moeurs de salon et des intrigues de saloon

7 Jours, c'est sous ce titre bref (comme tous ses titres) que cet écrivain tardif publie, à 54 ans, son neuvième roman. Un de ses meilleurs, dense, nerveux, qui met en scène l'un de ses héros favoris, non pas Lemmer, le baroudeur ex-taulard, ni Mat Joubert, le flic reconverti en privé, mais Benny (Griessel), tout juste intégré dans une unité d'inspecteurs surnommés les Hawks (Faucons), et qui affiche son 227e jour d'abstinence après treize années d'alcoolisme. Un homme de la petite classe moyenne afrikaner, qui se débat avec ses problèmes de coeur, d'enfants et son mal-être. Pas toujours facile d'être censé appartenir à la classe "dominante" dans un pays aux richesses si mal réparties et qui s'essaie à la discrimination positive. Deon Meyer ne ressemble pas à son personnage. Quoique. Lui aussi est né plus que modeste (son père était électricien itinérant) du côté des maîtres. Lui aussi a divorcé, avant de tomber amoureux de la belle Anita -aux airs d'héroïne hitchcockienne- et d'élever ensemble leurs quatre enfants. Lui aussi aime ce Cap tout en collines, telle San Francisco, les townships en plus.

Mais Deon Meyer, lui, est sobre et optimiste. Depuis qu'il a entendu, le 2 février 1990, les larmes dans les yeux, l'ex-président F. W. De Klerk annoncer la libération des prisonniers politiques (dont Nelson Mandela) et les prémices de la fin de l'apartheid, l'ex-journaliste, rédacteur publicitaire, attaché de presse, webmaster s'est senti pousser des ailes. Et le droit d'écrire, au petit matin, avant d'entamer sa journée de travail. Pour dire cette Afrique du Sud éminemment sociale et politique, avec ses violences, sa complexité, ses 11 langues officielles, il a choisi le polar, un genre nouveau au pays de Breyten Breytenbach, d'André Brink et de Nadine Gordimer. Bien lui en a pris. Quatorze ans après la publication de son premier roman, l'auteur de Treize Heures surfe sur le succès, notamment en France et en Allemagne, deux des 27 pays "investis" par son agent londonien.

L'habitant du Cap, la Slaapstad, traduisez ville endormie et tranquille ("mais ce sont les gens de Johannesburg qui l'ont baptisée ainsi, ils sont jaloux"), est aussi homme des grands espaces, qu'il sillonne dès qu'il le peut, sur sa grosse cylindrée, pour aller rejoindre sa ferme dans le semi-désert du Karoo, à quelque 400 kilomètres au nord-est. Quand il ne chevauche pas sa BMW, l'ancien rugbyman, surfeur et joueur de cricket danse le fox-trot, le tango, le paso-doble. Fan de musique et de cinéma (écriture de scripts, production de films, première réalisation... le 7e art l'emballe), Deon Meyer a des moeurs de salon et des intrigues de saloon... L'homme ne dort guère. Alors, il s'active, beaucoup. Le matin, à peaufiner -en afrikaans- ses écrits, l'après-midi, à répondre -en anglais- à ses nombreux fans via son site dûment mis à jour, le soir, à concocter quelques recettes avec sa femme, Anita. Et la nuit, à accompagner, s'il le faut, les forces de police...

A la fin du livre, un glossaire afrikaans, xhosa, zoulou...

Car Deon Meyer ne laisse rien au hasard. Pour la crédibilité de ses intrigues, tout est chronométré et vérifié, des temps de trajet aux heures de pointe aux moeurs des différents services, en passant par les transactions complexes de la BEE (politique de transformation raciale de l'économie). Autant de travail de documentation et de conseils que l'auteur, en gentleman, n'oublie pas de consigner à la fin de ses ouvrages. Pour 7 Jours, des financiers, un analyste en comportement criminel, des commissaires, un armurier, un tonnelier (et son épouse, bien évidemment) sont remerciés en amont d'un glossaire qui donne le ton du thriller. Amandla: cri de ralliement de l'époque de la résistance contre l'apartheid utilisé par l'ANC ; Dagga: cannabis ou marijuana en afrikaans ; Eish: mot xhosa exprimant l'exaspération ou l'incrédulité ; Hayi: "non!" en zoulou ; Uyesus: Jésus en xhosa... Mais on soupire d'aise quand on apprend que Kak, qui signifie "merde" en afrikaans, est aussi utilisé dans les dix autres langues officielles...

Et les Chinois? Là, le sourire s'efface

Mêmes tour de Babel et palette de couleurs au sein des services d'enquêtes du Cap, à l'heure de la discrimination positive. Auprès de l'Afrikaner Benny Griessel s'activent quelques supérieurs métis, zoulous, xhosas... Leur mission? Retrouver fissa l'assassin d'une certaine Hanneke Sloet, avocate ambitieuse tuée à l'arme blanche chez elle près de six semaines plus tôt. Pas d'effraction, pas de vol, pas d'indice. S'il y a soudainement urgence, c'est qu'un individu menace, par des e-mails et à coups de citations de la Bible, de tirer chaque jour sur un policier tant que l'affaire ne sera pas élucidée. Une double enquête démarre: dénicher le justicier sniper et mettre la main sur le meurtrier de la trentenaire aux seins refaits. Il leur faudra sept jours, durant lesquels toutes les hypothèses seront évoquées: un ancien communiste et ministre corrompu, un libraire en faillite, un ex-petit ami, tonnelier dans les Winelands, un riche intermédiaire blanc, un tortionnaire russe, ex-KGB, homme de main d'un mafieux venu blanchir son argent dans les compagnies minières... Sauf que, comme le rappelle Benny, nouvelle Afrique du Sud ou pas, 8 femmes assassinées sur 10 le sont par le mari, l'amant, le soupirant...

Ce pays n'est pas simple et l'écrivain s'en amuse, appuyant, pour les besoins du polar, là où ça fait mal. Mais, dans "la vraie vie", le citoyen Meyer se révèle positif. La criminalité galopante? "Contrairement à ce que rapportent vos médias, elle baisse de 10 à 12 % par an depuis dix ans, grâce, notamment, à la meilleure formation des quelque 200 000 policiers." Le racisme? "Cela bouge, les jeunes générations ne vivent plus avec cette notion de couleurs." La pauvreté et les townships? "Nous sommes encore un pays du tiers-monde, mais il y a des progrès ; on construit, chaque jour, 700 logements sociaux et notre économie est en bien meilleure santé que celle de l'Espagne ou du Portugal." Le rêve universel de Mandela? "Le gouvernement l'a oublié, c'est vrai, mais j'ai foi en l'homme de la rue." Et les Chinois, de plus en plus présents en Afrique du Sud? Là, le sourire s'efface, le gentil Meyer fulmine: "Après avoir pollué leur pays, les Chinois débarquent en Afrique. Ils n'ont rien de philanthropes ; tout cela m'inquiète, j'écrirai bientôt là-dessus."

L'auteur de 7 Jours roule vite. A gauche (colonisation britannique oblige). Comme s'il voulait rattraper le temps perdu, faire oublier ces années de domination blanche, accélérer les mutations d'une nation à l'arc-en-ciel encore palot.

Nota bene: La traduction en français a été effectuée à partir de la version anglaise, aucun traducteur de l'afrikaans n'étant jugé suffisamment qualifié.

Publicité