Texte de Luis Sepulveda

Souvenirs d’Etonnants Voyageurs

La première fois que j’ai dit « Je vais à Saint-Malo », la réponse a été un NON ! radical, et il est vrai que mon ami le docteur Schomberg avait raison. Je venais de quitter le lit d’une clinique de Hambourg, où j’avais passé cinq mois aux prises avec une maladie qui aurait pu soit me tuer, soit me condamner au fauteuil roulant. Un énorme corset de métal maintenait ma colonne vertébrale, et je marchais appuyé sur deux cannes, avec la grâce d’un canard ivre, tous mes muscles ressemblaient à de la gélatine, mais je voulais y aller, car quelque chose, je ne sais toujours, je ne veux pas savoir, comment se nomme cette voix mystérieuse qui me conseille toujours judicieusement, me disait que quelque chose de bon m’attendait à Saint-Malo.
Ainsi, désobéissant au médecin et à ma famille, j’ai mis le cap sur la Bretagne. De l’aventurier qui avait parcouru une grande partie de l’Amazonie, le désert d’Atacama, la Patagonie et la Terre de feu, qui était allé de bateau en bateau dans la flotte de Greenpeace, il restait peu de choses, presque rien, une ruine avec un roman qui venait d’être publié en France. J’étais vraiment une ruine, quand je riais j’avais mal aux pieds, si je trébuchais j’avais mal aux dents et je parlais même avec difficulté. Je me souviens avec terreur de ce qu’il m’en a coûté de traîner ma valise de l’hôtel jusqu’à la gare Montparnasse, mais là, les faits ont commencé à me donner raison, car c’est en attendant le train que j’ai connu Anne-Marie Métailié, et je crois que nous avons tout de suite su que notre amitié serait longue, une de ces amitiés où il fait bon boire, où il fait bon manger et où il fait bon parler.
Dans le train j’ai rencontré pour la première fois Paco Taibo II et José Agustin, deux écrivains que j’admirais, et qui, ces salauds, se sont écriés en me voyant « Alors c’est ça le mythique Luís Sepúlveda ». Mais ils se sont tout de suite révélés être deux incomparables compagnons des aventures que nous allions vivre ensemble.
A Saint-Malo, j’ai connu l’affection de Claude Cuffon, de Pascal Dibie, des formidables libraires du festival et de tant d’autres qui m’ont lentement encouragé à bouger, à laisser ces maudites cannes et à reprendre la route, la route bien aimée, qui est toujours pleines d’amis et de surprises. Cette première expérience à Saint-Malo a été une fête : Taibo II, José Agustin et Eraclio Zepeda, après m’avoir fait passer une épreuve consistant à provoquer les clients d’un restaurant, m’ont déclaré Mexicain d’honneur, j’ai pu boire de nouveau du vin après cinq longs mois d’abstinence criminelle, j’ai pu raconter à Anne-Marie Métailié une douzaine de romans que je pensais écrire (dont quelques-uns sont déjà écrits) et pour couronner cette fête j’ai rencontré quelqu’un qui plus qu’un ami allait devenir un frère : Daniel Mordzinski.
C’est pourquoi mon affection et ma gratitude à l’égard de Saint-Malo et du festival Etonnants Voyageurs n’ont rien de fictif. Elles sont réelles, parce que vraiment je vous le dis, c’est à Saint-Malo que j’ai appris à marcher pour la deuxième fois de ma vie.

Luis Sépulveda
Traduit de l’espagnol (Chili) par Anne-Marie Métailié