Nigéria, ce miracle littéraire

A part Wole Soyinka, prix Nobel de littérature en 1986, le Nigeria était connu pour son pétrole et sa musique. Il est aussi un gisement d'écrivains qui n'a pas échappé au festival Etonnants Voyageurs de Brazzaville.

Par Valérie Marin La Meslée

Noo Saro-Wiwa et Teju Cole, deux écrivains d'origine nigériane, présent à Brazzaville.
Noo Saro-Wiwa et Teju Cole, deux écrivains d'origine nigériane, présent à Brazzaville. © Baudouin Mouanda

Temps de lecture : 4 min

"Imaginez à présent que vous, qui êtes jeune, doué et ambitieux, vivez dans un tel cauchemar : la moitié de la planète a asséné toutes sortes de sanctions à votre pays ; vous ne pouvez pas écouter la radio sans entendre qu'on le calomnie." Helon Habila a écrit ces lignes en postface de son premier roman, En attendant un ange (Actes Sud). Son pays ? Le Nigeria, le plus peuplé d'Afrique (162 millions d'habitants), hallucinant de contrastes. Infiniment riche de pétrole. Infiniment pauvre en droits humains et soumis à la violence, celle des djihadistes de Boko Haram, celle du quotidien des rues de Lagos, sa plus grande ville, tentaculaire. Infiniment créatif, aussi : le son des cuivres de Fela Kuti et de ses fils résonne sur les scènes internationales, sa statuaire est l'une des plus belles au monde, son cinéma est si prolixe qu'on le surnomme Nollywood et, surtout, le Nigeria est un gisement d'écrivains constamment renouvelé.

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Si l'homme le plus riche d'Afrique, l'industriel Aliko Dangote, est nigérian, le seul Prix Nobel de littérature africain noir l'est aussi : Wole Soyinka, qui l'a reçu en 1986. À Brazzaville, au festival Étonnants Voyageurs, où s'ouvrent les états généraux des littératures africaines, trois auteurs nigérians seront présents : Helon Habila, Teju Cole et Noo Sarow-Wiwa, issus d'une nouvelle génération qui s'illustre plus que jamais par les femmes.

Prodige

Elle s'appelle Chimamanda Ngozi Adichie et son recueil de nouvelles Autour de ton cou (Gallimard) est la meilleure des entrées en matière pour découvrir cette romancière révélée en France par L'hibiscus pourpre (Anne Carrière), et confirmée par L'autre moitié du soleil ("Folio"/Gallimard). Elle signait là le grand roman du martyre des Igbo, son peuple, pendant la guerre du Biafra (1967-1970), dont la cicatrice est encore béante chez ceux qui sont nés, c'est son cas, après. Entre l'Amérique où elle a émigré - comme nombre de ses compatriotes - et l'Afrique, ses nouvelles denses, subtiles, racontent un monde où il n'est vraiment pas facile d'être nigérian. Qu'on soit une bourgeoise de Lagos trompée par son "homme important" de mari travaillant aux États-Unis, une baby-sitter confrontée au culte de l'enfant roi, une romancière en colloque se faisant expliquer son Afrique par un prof blanc ou l'épouse d'un opposant dont l'enfant vient d'être tué par la milice. Le combat de la relation à l'autre est au coeur de ce travail somptueux.

Et comment ne pas s'exclamer devant cet autre prodige, apparemment délié de son pays natal, qu'est Helen Oyeyemi ? Cette romancière, qui a grandi à Londres et qui vit en Europe centrale, impose un univers où le pur gothique anglais se mâtine discrètement de sa culture yoruba, nous semble-t-il, dans cette perméabilité constante entre les mondes visibles et invisibles. Après Le blanc va aux sorcières, le délicieux Mister Fox (Galaade) réinterprète Barbe-bleue avec un humour fantasque et une virtuosité de plume ensorcelante.

Manne littéraire

On ne peut les citer toutes, ni tous, mais regardons une autre jeune femme faire son entrée sur la scène littéraire, avec son "Voyage au Nigeria", à paraître au printemps chez Hoëbecke. Noo Sarow-Wiwa y retourne au pays de son père, Ken Sarow-Wiwa, martyr des lettres nigérianes, pendu en 1995 sous la dictature d'Abacha après une parodie de procès. À cet écrivain on ne doit rien de moins que l'apparition en littérature africaine de la figure récurrente de l'enfant-soldat. Pour son "pétit minitaire" embrigadé dans la guerre du Biafra, il a inventé cet anglais "pourri", dit pidgin, qui a fait de Sozaboy (Actes Sud, 1985) un livre charnière de l'histoire littéraire.

La jeune génération est héritière de cette lignée de maîtres, dont Chinua Achebe, auteur du classique des classiques Le monde s'effondre (Présence africaine, 1958). Mais aucun n'en est prisonnier. Aujourd'hui, ils oeuvrent, comme autant de brillantes singularités, loin du pays natal, entre New York et Lagos pour Teju Cole, qui a délivré dans Open City (Denoël) sa superbe mélodie de métis en quête de repères interrogeant à chaque coin de rue la possibilité du vivre-ensemble. Vivre tout court, ou survivre, c'est le défi des jeunes Africains confrontés à l'inimaginable, auprès desquels nous emmène Uwem Akpan, prêtre jésuite né et ayant grandi au Nigeria, dans son premier livre, Dis que tu es des leurs (Books Editions). Il faut monter avec Jubril, 16 ans, fils d'un couple mixte musulman-chrétien, dans l'un de ces "bus luxueux" du Nigeria, à bord duquel il fuit la charia du nord du pays pour en avoir une idée. Adeptes du pathos, passez votre chemin. Lecteurs curieux, jetez-vous sur cette manne littéraire !

Retrouvez notre dossier Étonnants Voyageurs

Étonnants Voyageurs à Brazzaville, du 13 au 17 février. À lire : L'Afrique qui vient, anthologie présentée par Michel Le Bris et Alain Mabanckou (Hoëbeke, 350 p., 20 euros).

Amos le Grand

Amos Tutuola a d'emblée placé la littérature nationale du côté de l'étrangeté, comme si au-dessus de toute douleur demeurait, immuable, cette façon poétique et drolatique d'être au monde. Amos Tutuola (1920-1997) vit encore dans un Nigeria sous mandat britannique quand il écrit " L'ivrogne dans la brousse ", un bijou paru en 1952 chez Gallimard, traduit par Raymond Queneau. Faites donc ce voyage ! Vous y croiserez un mort-vivant qui a emprunté ici et là jambes, bras et tête, afin de faire bonne figure quand il débarque en ville, en " gentleman complet ". Sur le chemin du retour, il n'omettra pas de restituer un membre après l'autre à leurs propriétaires !

France Inter : " L'Afrique qui vient " le 15 février

Une journée en direct de Brazzaville, sur France Inter, en partenariat avec le festival Etonnants Voyageurs.

- 7 h-9 h : " La matinale " de Patrick Cohen, avec notamment Alain Mabanckou.

- 9 h-10 h : " Les femmes, toute une histoire ", de Stéphanie Duncan.

- 11 h -12 h 30 : " On va tous y passer ", de Frédéric Lopez.

- 13 h 30-14 h : " La marche de l'histoire ", de Jean Lebrun.

- 18 h-20 h : " L'Afrique qui vient ", émission spéciale présentée par Eric Valmir, avec la participation de Valérie Marin La Meslée, du Point.

- 20 h-22 h, concert exceptionnel présenté par Soro Solo et Vladimir Cagnolari, de " L'Afrique enchantée ".

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