Oui, l’Afrique du Sud décrite par Galgut fait peur : "Le crime sévissait partout, jusque dans les coins les plus reculés. Le pays allait à vau-l’eau", écrit le romancier, l’un des plus désenchantés de sa génération. Et dont la prose brûle comme un feu de brousse.
André Clevel, L’Express
- © Nigel Maister
Pour Damon Galgut, écrivain et dramaturge appartenant à la dernière génération ayant grandi sous l’Apartheid, la "nouvelle Afrique du Sud" est une imposture. Les préjugés racistes restent une réalité, la pauvreté est criante et les mentalités tardent à évoluer. Point de bienveillance ni d’angélisme dans les romans de ce sud-africain né à Pretoria en 1963 qui se qualifie sans détour d’écrivain de la "classe-moyenne blanche".
À six ans, on lui diagnostique un cancer. Le jeune Damon passe ainsi de longues années de son enfance enfermé entre les quatre murs blancs de l’hôpital, avec pour seule distraction la voix de ses proches lui lisant des histoires à son chevet. De cette période, que l’écrivain considère comme « une pièce centrale de sa vie », naît son irrépressible goût pour les livres, la lecture et l’écriture. À l’âge de 17 ans, il confie ses premiers écrits à l’œil avisé d’un de ses professeurs de lycée qui porte tout de suite l’œuvre à une maison d’édition de Johannesburg qui publie A Sinless Season (non traduit en français). Suivront d’autres ouvrages, des nouvelles, des pièces de théâtre, et de nombreuses récompenses, dont le Prix du Commonwealth pour l’Afrique. En 2003, le succès d’Un Docteur irréprochable, sélectionné pour le Booker Prize britannique, lui permet de toucher un public beaucoup plus large.
Après la génération des Gordimer ou des Brink - qui explorait surtout les enjeux moraux de l’apartheid et traçait des frontières assez nettes entre le bien et le mal -, Galgut peint la complexité, l’ambiguïté. En 2010, son Imposteur esquisse, à travers l’étrange histoire d’Adam, tombé sous l’emprise du manipulateur Canning, une réflexion sur la manière dont une société reconstitue son histoire, rassemble ses souvenirs et bricole avec son passé.
D’abord paru sous la forme de trois nouvelles dans la revue The Paris Review, Dans une chambre inconnue, son dernier roman publié en français, a été sélectionné en 2010 pour le Man Booker Prize. Dans ce texte intime et poétique, largement autobiographique, l’écrivain réinvente le récit de voyage, sous la forme de trois variations sur l’errance volontaire.
Oeuvres traduites en français :
- In a Strange Room (Editions L’Olivier, 2013)
- L’Imposteur (Editions L’Olivier, traduction par Hélène Papot, 2010)
- Un Docteur Irréprochable (Editions L’Olivier, traduction par Hélène Papot, 2005)
Oeuvres non traduites :
- The Quarry (Viking, 1995)
- Gewapende Stilte (Nijgh & Van Ditmar, 1995)
- The beautiful screaming of pigs (Scribners, 1991)
- Small Circle of Beings (Constable, 1988)
- A Sinless Season (Penguin, 1984)
Présentation de In a Strange Room
Dans ce dernier roman, aux accents légèrement autobiographiques, Damon, le personnage principal, un jeune solitaire, voyage à travers l’Afrique Orientale, en Europe et en Inde. Il ne sait pas trop ce qu’il cherche et, réticent à l’idée de rentrer chez lui, il suit les traces des voyageurs qu’il rencontre sur sa route. Parfois amant, parfois disciple ou maître, chaque nouvelle rencontre avec un étranger énigmatique, avec un groupe de randonneurs insouciants le pousse à se confronter à sa propre identité. Traversant le calme de la nature sauvage et la frénésie du passage des frontières, chaque nouvelle destination est teintée de deuil à mesure qu’il se propulse vers sa fin tragique.
Quand Adam perd son emploi, il quitte Johannesburg et se retire dans une maison du bush sud-africain pour écrire. Mais un homme vient perturber sa solitude. Il s’appelle Canning et se présente comme un ancien camarade de classe. Adam n’a aucun souvenir de ce prétendu « ami », pourtant il le laisse entrer dans sa vie. Canning affiche tous les signes extérieurs de la réussite : une maison luxueuse, des projets ambitieux, une femme séduisante. Attiré par l’étrangeté du personnage, Adam décide d’aller au bout de l’imposture en acceptant de jouer le rôle qui lui est proposé.
Ce texte plein de mystère, au climat oppressant, a pour toile de fond l’Afrique du Sud d’après l’apartheid. Dans la lignée de J. M. Coetzee, Damon Galgut mêle le destin d’un homme et de son pays, hanté par le passé.
Revue de presse :
- "Outre la question de l’affairisme immobilier dans une région vierge, c’est ici toute la question de l’identité qui est convoquée. Le passé, le vrai, le faux, les souvenirs, les mémoires individuelles, collectives et politiques qui fondent notre relation à la politique. Le tout, dans un pays qui est sorti de l’apartheid depuis moins de vingt ans, et où un apartheid social vit encore, nous enseigne le livre." Rue 89